Entretien avec
Michel Camdessus
par
Yves Messarovitch, Économiste
n° 123 - Printemps 2009
Yves Messarovitch - Monsieur Camdessus, vous êtes l'un des neuf membres du Comité (1) chargé d'élaborer le projet de réforme de la gouvernance du Fonds monétaire international. Celui-ci a fait l'objet d'intenses discussions, mais aussi d'importantes décisions, lors du sommet du G20, qui s'est tenu à Londres, le 2 avril dernier. Cette réforme jette les bases d'un nouveau FMI mieux armé pour affronter et corriger les dérèglements financiers du XXIe siècle. Quels en sont les objectifs ? Michel Camdessus - Ce rapport d'experts, auquel j'ai participé sous la présidence de Trevor Manuel, avec Amartya Sen, Kenneth Dam, Robert Rubin et cinq autres personnalités, fixe trois objectifs essentiels. Il s'agit, premièrement, de faire monter en puissance les pays pauvres et les pays émergents au sein de l'institution. Deuxièmement, d'étendre les travaux du FMI à l'ensemble des transactions, pas seulement monétaires, comme c'est actuellement le cas, mais aussi financières. Et troisièmement, de donner à l'institution puissante ainsi recréée la « gouvernance lui permettant de remplir sa mission ». L'idée consiste à adapter une institution issue de la Seconde Guerre mondiale aux réalités du XXIe siècle. La réforme, qui donnerait plus de pouvoirs aux pays émergents et en développement, devrait être examinée au cours de la seconde étape des travaux du G20 et, en tout état de cause, avant janvier 2011. La réforme proposée est de vaste ampleur. Depuis l'origine, en effet, le Fonds est géré par une instance technocratique - le Conseil d'administration - aux côtés de laquelle siège une instance politique - le Comité monétaire, économique et financier - qui se réunit trois fois par an, mais qui ne dispose que d'un pouvoir consultatif. Si nos propositions étaient adoptées, le Conseil d'administration aurait pour mission de préparer les délibérations d'un « Collège », instance politique qui arrêterait les décisions de nature systémique. Y. M. - Le FMI ne sera-t-il pas doté de pouvoirs exorbitants ? M. C. - Non, mais il faut veiller à ce que l'institution détentrice de ces pouvoirs soit parfaitement légitime. Il faut, en particulier, changer les procédures de désignation des dirigeants. Jusqu'à présent, ce sont les Européens qui élisent le directeur du FMI et les Américains le président de la Banque mondiale. Cette pratique anachronique doit disparaître. Le sommet du G20, qui s'est tenu à Londres le 2 avril, a d'ailleurs souligné qu'à l'avenir les dirigeants de l'institution « devaient être nommés et sélectionnés via un mécanisme transparent et basé sur le mérite ». Il faut au surplus, je le répète, y faire une plus large place aux pays pauvres et émergents. Un autre enjeu est la nécessaire disparition du droit de veto actuellement exercé par les grandes puissances. Dans la configuration actuelle, les décisions importantes requièrent une majorité de 85 % des voix. Cette règle implique que les États-Unis, parce qu'ils possèdent 17 % des droits de vote, disposent d'une capacité de blocage. Dès qu'ils parleront d'une seule voix, les Européens partageront ce droit de veto. La nouvelle structure serait plus démocratique puisqu'il est proposé d'abaisser à 70 % le pourcentage de voix nécessaire pour emporter de telles décisions. Les membres du G20 ont déjà entériné, en quelque sorte, l'esprit de ces réformes en exprimant leur détermination à accroître la légitimité des institutions, et notamment du Fonds, en s'engageant « à réformer leur mandat, leur champ d'action et leur gouvernance pour refléter les changements dans l'économie mondiale ». Y. M. - Les « politiques » ne risquent-ils pas de prendre le pas sur les « technocrates », dont les compétences sont pourtant bien utiles pour éviter certaines dérives ? M. C. - Il ne s'agit pas de politiser l'institution. Il s'agit de faire en sorte que les gouvernements s'y intéressent d'un peu plus près, et que les ministres siégeant au Conseil international monétaire et financier auquel se substituera demain le « Collège », en assument davantage la responsabilité. Qu'ils ne se contentent pas, une fois retournés dans leur pays, de se lamenter devant les mesures qu'ils ont approuvées : « Ah, le Fonds monétaire, c'est terrible, il est tellement rigoriste. Ce n'est pas notre faute, c'est celle de cette institution incorrigible !... » Il est temps de rendre transparent le partage des responsabilités. On passe trop de temps aujourd'hui sur des questions administratives ou secondaires. Quant au Conseil d'administration, il devra, à l'avenir, préparer plus en détail les décisions sur les dossiers majeurs qui seront abordés par le nouveau Collège politique. Y. M. - C'est parce qu'il s'est trop focalisé sur des sujets considérés comme mineurs que le Fonds monétaire a vu son influence reculer ces dernières années ? M. C. - Non, je ne pense pas. La perte d'influence de ces dernières années provient surtout de la montée de l'unilatéralisme dont ont souffert les instances internationales et a abouti à l'affaiblissement des disciplines multilatérales. Ce constat ne vaut pas uniquement pour le Fonds monétaire ; il s'applique aussi aux Nations unies ou à la Banque mondiale... Sous l'administration Bush, on a bien vu que l'unilatéralisme prévalait et que les avis des institutions multilatérales étaient de moins en moins pris en compte. Cette posture s'est révélée particulièrement perverse alors que des problèmes de dimension mondiale émergeaient en permanence. Ce projet de réforme tente de restaurer cette dimension multilatérale. Son succès dépendra de la disponibilité des grandes puissances à en respecter l'esprit. Y. M. - En quoi cette réforme du FMI - la plus importante depuis 1944 - peut-elle contribuer à la nécessaire refondation du système monétaire et financier international ? M. C. - Au lendemain du G20 du 2 avril, c'est encore le chaînon manquant ! Nous savions, depuis la crise mexicaine de 1994-1995 et la crise asiatique de 1997-1999, que les désordres dans le monde de la finance ne trouvaient plus leur origine dans des crises issues des transactions monétaires et des balances courantes, mais plutôt dans les transactions financières qui échappaient au contrôle du Fonds monétaire. Celui-ci, en effet, avait mandat de ne surveiller que les balances courantes et non les balances des capitaux. …
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