Entretien avec
Taslima Nasreen
par
Alexandre Del Valle, essayiste et éditorialiste
n° 124 - Été 2009
Taslima Nasreen est née au Bangladesh (à l'époque Pakistan oriental) en 1962 dans une famille aisée et cultivée, de confession musulmane. Médecin gynécologue de formation, elle exerça dès 1986 dans un hôpital public. La vie et la carrière de Taslima Nasreen basculent en 1994 à la suite de la parution de son premier roman Lajja (La Honte), qui dénonçait les persécutions subies par les « infidèles » hindouistes dans le Bangladesh islamique. Menacée de mort par les islamistes, bannie par son propre pays, elle trouve refuge en Suède. C'est là qu'elle reçoit du Parlement européen le prix Sakharov pour la liberté de pensée, puis des autorités suédoises le prix Kurt Tucholsky. Son exil se poursuit en Occident : après la Suède, elle choisit l'Allemagne (1995-1996), puis à nouveau Stockholm (1997) et New York (1998), où vit sa soeur. Après un bref passage en France, elle finit par s'installer à Calcutta, capitale de l'État fédéré indien du Bengale occidental, où l'on parle sa langue maternelle et où elle tente en vain d'obtenir la nationalité indienne. Mais, en mars 2007, sa tête est mise à prix par un mouvement islamiste indien. Une « prime de décapitation » de 500 000 roupies (10 000 euros) est offerte à celui qui réussira à mettre la main sur elle. Contrainte de quitter Calcutta, elle fuit de ville en ville. Le 28 novembre 2007, elle reçoit l'appui du ministre des Affaires étrangères, Pranab Mukherjee, ainsi que celui des services de renseignement indiens qui l'exfiltrent vers un lieu tenu secret. Persuadée que l'Inde est sa seconde patrie, elle obtient, en février 2008, la prolongation de son visa indien pour six mois. Mais l'embellie est de courte durée : menacée de mort par les islamistes pour « blasphème » et déçue par la tiédeur des autorités indiennes à son endroit, elle plie bagage le 19 mars 2008 et regagne la Suède. Sous le coup de la colère, elle affirme que « le gouvernement indien ne vaut pas mieux que les fondamentalistes religieux », l'accusant même d'avoir voulu l'« empoisonner » en lui fournissant des médicaments inadaptés à son hypertension. Depuis, elle semble s'être réconciliée avec sa « seconde patrie » et envisage d'y retourner dès qu'elle aura reçu les garanties nécessaires. C'est toutefois depuis la Suède qu'elle publie son dernier ouvrage, De ma prison. Le 21 mai 2008, elle reçoit à Paris, des mains de la secrétaire d'État aux droits de l'homme, Rama Yade, le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes. Taslima Nasreen s'est installée en France depuis mars 2009, avec l'aide de la Mairie de Paris et de toute une chaîne d'amitiés principalement situées à gauche. Une nouvelle phase de la vie de cette « révolutionnaire laïque » commence dans la patrie des droits de l'homme et de Voltaire. A. D. V. Alexandre Del Valle - Vous vous êtes installée à Paris depuis quelques mois. Vous y sentez-vous en sécurité ? Taslima Nasreen - Oui, je pense que je suis ici en sécurité. J'ai choisi la France, mais il est vrai également que la France m'a choisie. J'y ai reçu, depuis des années, de nombreux témoignages de sympathie et j'y ai des amis fidèles. Je tiens à remercier ici la Mairie de Paris, qui m'a soutenue et qui m'a procuré un logement, même si ce soutien est prévu pour une durée assez limitée et si mes difficultés financières ne sont toujours pas résolues. A. D. V. - Comment vos problèmes ont-ils commencé et comment êtes-vous devenue la cible des islamistes du monde entier ? T. N. - Tout a commencé au Bangladesh au milieu des années 1990. Je travaillais à l'hôpital. J'étais jeune et j'avais déjà acquis une notoriété internationale grâce à mes premiers best-sellers. De fil en aiguille, de grands organes de presse m'ont demandé de rédiger des rubriques. J'ai accepté et j'ai commencé à écrire des articles engagés sur les femmes opprimées, à partir de ma propre expérience de médecin des hôpitaux. C'est à ce moment-là que j'ai commis l'irréparable aux yeux des fondamentalistes : j'ai écrit que les lois religieuses, notamment islamiques, ne devaient pas exister. A. D. V. - Quand votre vie a-t-elle été mise en danger pour la première fois ? T. N. - Les islamistes ont mis à sac les bureaux d'un journal qui me publiait et mes éditeurs ont subi des menaces. Mais l'horreur a véritablement fait irruption dans ma vie pendant le Salon du livre du Bangladesh de 1994 : alors que je dédicaçais tranquillement mon roman Lajja, une foule d'islamistes enragés ont brutalement débarqué et se sont mis à tabasser tout le monde. Ils ont brûlé mes livres sur place et ont tenté de me tuer. J'ai été sauvée de justesse par les policiers. Pour la première fois, j'ai senti la mort tout près de moi. Mon destin a basculé d'un coup. Après cela, on m'a raccompagnée à la maison. Les éditeurs et les organisateurs du Salon m'ont fait comprendre qu'il valait mieux que je ne participe plus jamais à un événement de ce genre... Puis le gouvernement s'est emparé de l'affaire. Mon livre fut interdit parce que j'avais eu le malheur de critiquer la loi islamique et fait remarquer que les Hindous victimes de pogroms et de tortures n'étaient jamais défendus par les pouvoirs publics. J'étais tout à coup bannie et accusée de blasphème - crime suprême - pour avoir osé dire du mal des religions en général et de la religion musulmane en particulier. Au lieu de me protéger, l'État m'a poursuivie. Entre avril et juin 1994, des millions de fondamentalistes exigèrent que je sois exécutée. Comme le gouvernement tardait à me condamner, de gigantesques manifestations furent organisées à travers le pays pour réclamer ma lapidation. Au comble de la crise, un appel à la grève générale fut lancé ! Aucun bus et aucun train ne quitta le quai et aucun avion ne décolla pendant sept longues journées de grève qui paralysèrent totalement le pays. Je vous rappelle qu'à la différence de Salman …
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