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CHILI : UN MANDAT EXEMPLAIRE ?

Entretien avec Michelle Bachelet, Presidente du Chili deuis 2006 par Sophie de Bellemaniere

n° 124 - Été 2009

Michelle  Bachelet Sophie De Bellemanière - Madame la Présidente, la crise financière n'épargne pas votre pays. Dans un tel contexte, il est fréquent que la population désigne du doigt les dirigeants politiques. Or, curieusement, vous échappez à cette règle et bénéficiez toujours d'un taux de popularité très élevé : 67 % d'opinions favorables, selon un sondage récent. Comment l'expliquer ?
Michelle Bachelet - Sachez, tout d'abord, que je n'ai jamais gouverné en pensant aux sondages ! Depuis mon élection, ma seule préoccupation a été de tenir les engagements pris aussi bien pendant ma campagne que durant ma présidence. Et si mon gouvernement et moi-même y sommes parvenus, c'est grâce à un travail permanent et assidu. La population nous en est reconnaissante. Voilà tout !
Pour ce qui est de la crise, il était prévisible qu'elle provoquerait une hausse du chômage et de la pauvreté. C'est pourquoi, dès l'année dernière, nous avons mis en place un ensemble de mesures visant à soutenir la consommation des ménages ainsi que les petites et moyennes entreprises qui sont, en général, les premières à subir les effets des bouleversements économiques. Grâce au stimulus fiscal (3) et au soutien au crédit, ces entreprises particulièrement vulnérables ont pu se maintenir à flot.
S. D. B. - Quelle a été la clé du succès de ces mesures au Chili?
M. B. - Un proverbe chilien dit : « Pendant les périodes de vaches grasses, il faut être prévoyant en vue des périodes de vaches maigres. » Nous avons suivi ce précepte à la lettre ! Résultat : quand la crise est survenue, nous avions non seulement des idées pour l'enrayer, mais aussi des moyens de réagir. De mon point de vue, il était absolument fondamental de ne pas laisser la population sombrer dans le désarroi. Pour ce faire, il fallait impérativement que le déficit fiscal et l'excédent structurel demeurent à des niveaux acceptables (4) ; sinon, les citoyens les plus pauvres se seraient retrouvés dans une situation désespérée.
S. D. B. - Au-delà de quelques désaccords ponctuels, qui sont inévitables, les relations entre les États de votre continent semblent très bonnes...
M. B. - Elles sont excellentes, en effet. Vous avez l'Union européenne. Nous, nous avons l'UNASUR (l'Union des nations d'Amérique du Sud) (5), une organisation régionale qui obéit au même principe d'unité dans la diversité. En ce moment, en Amérique du Sud, nous connaissons une situation politique inédite : dans tous nos pays, les dirigeants ont été élus démocratiquement. Et, avant la crise, toutes les économies sud-américaines affichaient des taux de croissance remarquables depuis sept à huit ans. J'aimerais que le monde nous regarde désormais comme une région mûre, sérieuse, responsable, qui a su faire les choses correctement.
Bien sûr, de nombreuses différences subsistent entre les leaders de nos pays. Des différences idéologiques, institutionnelles et même historiques. Mais nous sommes tous animés de la ferme volonté de combattre la pauvreté et d'offrir une vie meilleure à nos citoyens. C'est en grande partie pour cela que nous nous unissons au niveau du continent - sans suivre pour autant la même stratégie de développement au niveau national. Le maître mot, ici, est « coopération ».
S. D. B. - Coopération, mais jusqu'à quel point ? Concrètement, seriez-vous prête à appuyer la candidature du Venezuela au Conseil de sécurité de l'ONU ?
M. B. - Avant tout, il convient de préciser que l'UNASUR n'existe que depuis un an. Or, malgré son jeune âge, cette institution - dont le Chili assure la présidence pro tempore depuis sa fondation le 23 mai 2008 - a déjà obtenu des résultats concrets et très positifs : nous avons créé un Conseil de défense sud-américain qui conçoit des opérations communes pour la paix (6). Nous avons également fondé un Conseil de la santé de l'UNASUR, dont la fonction est de constituer un bouclier épidémiologique afin de protéger nos nations des diverses pathologies qui les menacent.
Et quand, en septembre 2008, la Bolivie - qui est une république soeur du Chili - s'est trouvée à deux doigts de connaître une explosion institutionnelle (7), nous avons tout fait pour l'aider. Nous nous étions assurés que toutes les conditions étaient réunies pour que le gouvernement et l'opposition puissent se rencontrer et chercher une solution démocratique à leur conflit (8).
Depuis, l'UNASUR continue de travailler sur les infrastructures, sur l'énergie et sur la cohésion sociale.
En ce qui concerne le Venezuela et ses aspirations, il faut bien comprendre que, pour nous autres Sud-Américains, quand l'un des pays du continent figure dans un organisme international, il représente toute la région. Comme vous le savez, le Chili siège au Conseil des droits de l'homme de l'ONU, à Genève ; eh bien, nous y représentons les autres pays d'Amérique latine - des pays qui nous ont d'ailleurs aidés à obtenir ce siège.
C'est pourquoi quand viendra le moment pour notre continent de choisir son représentant au Conseil de sécurité de l'ONU (9), il s'agira d'étudier très attentivement toutes les possibilités. Je suis confiante : nous aboutirons à un accord. Mais il faudrait éviter de passer par un vote. Une telle procédure génère toujours des conflits.
S. D. B. - Aux yeux du Chili, quel pays de la région serait le mieux indiqué pour ce rôle fondamental ?
M. B. - C'est un sujet dont nous n'avons pas encore débattu. J'espère que les États sud-américains parviendront à un consensus et que, au final, nous nous unirons tous derrière la candidature de l'un de nos voisins. Il appartiendra ensuite au pays auquel sera attribuée cette éminente fonction de s'en acquitter en bonne intelligence avec le reste du continent.
S. D. B. - Au mois de février dernier, vous avez effectué une visite historique à Cuba. La dernière fois qu'un chef de l'État chilien s'y était rendu, c'était Salvador Allende, en 1972. Quelle était la signification de votre déplacement ?
M. B. - Le message est clair : la guerre froide est finie et il faut agir en conséquence. Pourquoi prononcer de longs discours sur la nouvelle …