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DIPLOMATIE AMERICAINE : LE RETOUR DE LA GRANDE TRADITION

Entretien avec Richard Haas, Vice-président et directeur des Etudes de politique étrangère de la Brookings Institution depuis 199 par Olivier Guez, Journaliste à La Tribune

n° 124 - Été 2009

Richard Haas Olivier Guez - Barack Obama vient de boucler les premiers mois de sa présidence. Comment jugez-vous ses débuts en politique étrangère ?
Richard Haass - On peut déjà entrevoir les grandes lignes de la diplomatie « obamienne » bien que le nouveau président n'ait pas encore affronté de crise diplomatique majeure. Or c'est dans les crises que les présidents s'affirment ou qu'une politique étrangère peut brusquement changer de cap. Notez qu'il lui reste encore 1 000 jours pour imposer son style ! Plus sérieusement, on discerne quelques tendances de fond : il est un partisan du multilatéralisme, de la diplomatie au sens traditionnel du terme ; c'est aussi un pragmatique. D'une certaine manière, la politique étrangère d'Obama renoue avec la grande tradition de la diplomatie américaine : il cherche à atténuer les différends, à trouver des compromis, à réorienter la politique étrangère des autres gouvernements plutôt qu'à transformer leur nature fondamentale. Jusqu'à présent, sa politique étrangère me rappelle celle de George Bush-père.
O. G. - De quelle manière ?
R. H. - Son fils, George W. Bush, se situait dans la lignée de Woodrow Wilson : sa politique étrangère avait pour but et, à la limite, pour « mission » de bouleverser l'ordre politique des autres pays, à la fois pour des raisons morales - la foi en la démocratie - et pour des raisons pratiques. Bush junior croyait que la démocratie produisait de meilleurs citoyens et qu'il était plus facile de s'entendre entre démocrates. La politique étrangère d'Obama, elle, n'est pas fondée sur la promotion de la démocratie. Elle est plus réaliste, comme l'était celle de Bush-père. Elle est légèrement moins ambitieuse, plus en phase avec la situation actuelle des États-Unis (dispersés militairement et affaiblis économiquement) et largement tributaire de la situation géopolitique - plutôt délicate - qu'il a héritée de son prédécesseur.
O. G. - On nage en plein paradoxe. D'un côté, les États-Unis n'ont jamais semblé aussi faibles depuis des décennies ; de l'autre, les attentes qu'ils suscitent et l'aura de leur président n'ont jamais été aussi fortes...
R. H. - Vous forcez un peu le trait ! En réalité, l'Amérique n'a jamais été aussi puissante que certains l'ont cru ou craint, et elle n'est pas aussi touchée par la crise qu'on le suggère aujourd'hui - même si, nul ne peut le nier, elle traverse de sérieuses difficultés. Notre PNB est toujours d'environ 14 billions de dollars et représente encore un quart de la richesse mondiale. Le dollar demeure la monnaie de réserve internationale ; les États-Unis restent le marché vers lequel convergent les biens du monde entier. Bien que notre situation économique se soit dégradée, nos atouts structurels ne se sont pas évanouis d'un coup : la taille de notre économie, le rôle unique du dollar, l'importance du marché américain, notre capacité d'innovation. Ce pays va se reprendre, il va guérir ; j'en ai la certitude. Le plan de relance d'Obama va finir par porter ses fruits, d'ici à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine. On peut débattre de la vigueur de la reprise, mais elle arrivera un jour. Il reste, il est vrai, une grande inconnue, liée aux gigantesques sommes injectées par la FED et les autres banques centrales dans les circuits économiques au cours des derniers mois : à quel moment l'inflation va-t-elle se manifester ? Espérons qu'elle n'interviendra pas trop tôt, en tout cas pas avant la reprise. Sinon, ce serait une catastrophe, un véritable cauchemar : le retour de la stagflation des années 1970 !
O. G. - Dans ces circonstances, comment la place des États-Unis va-t-elle évoluer dans l'ordre international ? Les positions de l'Iran, de la Russie et du Venezuela ont été fortement ébranlées par la crise, bien davantage que celle de l'Amérique...
R. H. - C'est exact, les trois pays que vous venez de citer possèdent des économies quasiment unidimensionnelles, très vulnérables - des économies dites « cash-crop » qui reposent sur l'exploitation et l'exportation d'un seul produit de grande valeur. Ils souffrent énormément de la chute du prix des matières premières. Quels que soient nos problèmes actuels, ils sont moins graves que les leurs parce que notre économie est plus diversifiée. Mais d'autres vont souffrir : l'Irak par exemple. Comme son voisin iranien, la baisse des prix de l'énergie va terriblement l'affecter. Début 2010, le pays connaîtra une crise très sévère compte tenu du décalage entre les dépenses publiques irakiennes, les rentrées de devises générées par les exportations de pétrole et les réserves monétaires dont il dispose. La crise nous réserve encore des surprises désagréables, j'en ai peur : des frictions sociales de plus en plus nombreuses, un risque de protectionnisme de plus en plus élevé qui rendra les négociations commerciales plus ardues, sinon impossibles dans le cadre de l'OMC. Globalement, cette crise annonce de mauvaises nouvelles, y compris pour les États-Unis. Et si elles sont mauvaises pour l'Amérique, elles sont mauvaises pour le reste du monde, pour l'Inde et pour la Chine en particulier. Leurs exportations vont ralentir, l'accès au capital étranger se tarir. L'une des caractéristiques du monde globalisé c'est que, désormais, nous prospérons et nous déclinons tous ensemble.
O. G. - Dans un article fondateur publié l'an dernier dans Foreign Affairs, vous développiez la notion de monde « apolaire ». Qu'entendez-vous par là ?
R. H. - Nous vivons à une époque où le pouvoir, sous toutes ses formes, qu'elles soient politiques, économiques, culturelles et militaires, est aux mains des États mais aussi d'acteurs non étatiques. C'est la grande différence avec le monde unipolaire de l'immédiat après-guerre froide, avec le monde bipolaire de la guerre froide et le concert européen du XIXe siècle. Un monde multipolaire est animé par quelques puissances - cinq, six, sept pays au maximum - qui contrôlent les affaires de la planète. Ce n'est plus le cas aujourd'hui : le G7 ou le G8 sont dépassés et nous vivons désormais à l'heure du G20. De nombreux États pèsent sur la scène internationale, auxquels il faut ajouter le …