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HONGRIE : CHRONIQUE D'UNE FAILLITE EVITEE

Entretien avec Gordon Bajnai par Luc Rosenzweig

n° 124 - Été 2009

Gordon Bajnai Luc Rosenzweig - Pouvez-vous nous décrire le contexte politique dans lequel vous avez accédé à la fonction de premier ministre le 14 avril 2009 ?
Gordon Bajnai - La Hongrie, comme d'autres pays européens, a été touchée, à partir de septembre 2008, par la crise économique mondiale. Mais son impact sur notre pays a été plus violent qu'ailleurs. Cette crise a révélé au grand jour des problèmes structurels hérités du passé, qui n'avaient pas été traités de manière adéquate par les gouvernements précédents. Au mois de mars, le premier ministre en exercice, Ferenc Gyurcsany (1), a estimé qu'il devait démissionner et laisser la place à une nouvelle équipe qui soit à même d'engager résolument les réformes nécessaires. Il est vrai que, depuis les élections législatives de 2006, la Hongrie était dirigée par un gouvernement socialiste minoritaire qui devait batailler pour sa survie lors de chaque vote au Parlement. Un tel gouvernement n'aurait pas pu lancer les réformes radicales rendues inévitables par la crise. Deux partis politiques - les socialistes et les libéraux - ont alors décidé de constituer une majorité stable afin de soutenir un cabinet de gestion de crise jusqu'aux prochaines législatives qui doivent avoir lieu au mois d'avril 2010.
L. R. - Pouvez-vous nous expliquer plus en détail ce que sont ces « spécificités hongroises » qui ont rendu votre pays plus vulnérable aux effets de la crise économique que certains de ses voisins, comme la République tchèque ou la Pologne ?
G. B. - La Hongrie a enregistré d'importants succès dans la réduction de son déficit public qui a été ramené de 10 % en 2006 à 3 % en 2008, c'est-à-dire aux critères de Maastricht tels qu'ils ont été définis pour pouvoir entrer dans la zone euro. Mais, dans le même temps, en raison du retard des réformes structurelles, le taux de croissance est tombé de 4 % à 2 %. Comme le déficit budgétaire des années précédentes - notre dette publique s'élève actuellement à 80 % du PIB annuel - avait été financé en grande partie par des emprunts contractés en devises étrangères, notamment en euros, les mauvais chiffres de la croissance ont provoqué une pression sur la monnaie nationale, le forint, qui s'est fortement déprécié. Il en est résulté une perte de confiance des investisseurs nationaux et internationaux, et une déstabilisation de notre système bancaire. Notre but est de remettre la Hongrie sur les rails de la compétitivité et d'atteindre un taux de croissance de deux points au-dessus de la moyenne de l'UE.
L. R. - Quelles sont les principales réformes à mettre en oeuvre pour y parvenir ?
G. B. - Comme je l'ai dit, le gouvernement que je dirige a une durée de vie limitée. Mais nous avons l'ambition de faire davantage de réformes en une année qu'au cours de la décennie qui vient de s'écouler. Nous avons commencé par réformer le système des retraites. Puis viendra le tour du système de protection sociale, avec un double objectif : réduire les coûts et inciter les gens à revenir sur le marché de l'emploi au lieu de vivre des allocations sociales (2). En Hongrie, le taux d'activité des personnes en âge de travailler est l'un des plus faibles de l'UE. Nous allons également introduire une réforme fiscale : jusqu'à présent, la charge de l'impôt repose sur un nombre insuffisant de contribuables fortement taxés. Cela doit changer. D'importantes diminutions d'impôts directs seront soumises au Parlement dans les prochains mois. Nous voulons lancer un message clair à l'intérieur comme à l'extérieur du pays : la Hongrie est décidée à sortir de cette crise par le haut, et elle est capable de mettre en oeuvre sans faillir les réformes annoncées.
L. R. - Votre gouvernement est présenté par la presse comme un « gouvernement d'experts », en rupture avec les équipes politiques de droite comme de gauche qui ont dirigé le pays depuis la chute du communisme. Sur quels critères vos ministres ont-ils été sélectionnés ?
G. B. - Lorsque j'ai été pressenti pour former le gouvernement, j'ai exprimé clairement mon souhait de constituer une équipe mêlant experts et personnalités politiques. Je n'appartiens moi-même à aucun parti et j'ai estimé que les postes clés devaient revenir à des professionnels reconnus pour leurs compétences. Chacun est conscient de l'importance de la mission qui lui a été confiée. Leur perspective n'est pas la prochaine élection, mais l'avenir de la prochaine génération. Le ministre des Finances Peter Oszko, par exemple, a longtemps dirigé la filiale hongroise du cabinet international d'audit Deloitte, et est considéré comme le meilleur expert national des questions fiscales. Le ministre de l'Économie Istvan Varga a dirigé Shell-Hongrie, et a également été l'un des conseillers de l'ONG anti-corruption Transparency International. Le ministre des Infrastructures Peter Honig, lui, a dirigé des entreprises dans le secteur de l'énergie. Quant au ministre des Affaires étrangères, Peter Balazs, qui a longtemps enseigné le droit international, il a été le premier commissaire européen hongrois à Bruxelles. Tous ces hommes jouissent d'une excellente réputation à l'étranger et seront capables, j'en suis certain, d'incarner notre volonté de redressement.
L. R. - Au plus fort de la crise, la Hongrie a reçu une aide d'urgence du FMI et de l'Union européenne. Comment ce sauvetage a-t-il été organisé ? Des conditions ont-elles été imposées ?
G. B. - En octobre 2008, alors que la crise frappait durement la Hongrie, le gouvernement s'est en effet tourné vers le FMI. À l'époque, on a dit que la Hongrie s'était assise sur le banc d'infamie. Aujourd'hui, je constate que ce banc d'infamie s'est considérablement peuplé... Le FMI et la commission européenne ont apporté leur aide avec une célérité inhabituelle. Les conditions que nous a posées le FMI sont on ne peut plus classiques : il nous a été demandé de poursuivre la stabilisation budgétaire et la restructuration du système des services financiers. Cette tâche a été menée à bien par le précédent gouvernement. Mais aujourd'hui il faut aller plus loin, car nous devons faire face à une récession …