Les Grands de ce monde s'expriment dans

KOSOVO, AN I

Entretien avec Fatmir Sejdiu par Ilda Mara, Journaliste à Courrier International

n° 124 - Été 2009

Fatmir Sejdiu Ilda Mara - Après de longues années de combats diplomatiques, le Kosovo a enfin accédé à l'indépendance. Quels sont à présent les grands défis auxquels vous devez faire face ?
Fatmir Sejdiu - Vous avez raison, cette page de notre histoire est désormais tournée. Nous en avons fini avec les guerres et les massacres. Et, après de longues décennies, nos efforts pour faire du Kosovo un État souverain et indépendant ont enfin été couronnés de succès. À ce jour, 60 pays ont reconnu notre État. Ce résultat est d'autant plus appréciable qu'il s'agit majoritairement de grands pays, qui occupent une place considérable dans le monde (États-Unis, France, Italie, Grande-Bretagne, Allemagne, etc.).
À présent, les défis majeurs sont d'ordre économique. Mais le Kosovo est bien armé pour y faire face : il possède d'importantes ressources naturelles et a la chance de compter parmi sa population un grand nombre de jeunes formés dans les meilleures universités étrangères.
Notre société a subi de profonds traumatismes et, naturellement, il lui faudra du temps pour panser ses plaies et aboutir à une véritable réconciliation entre les ennemis d'hier. Pour l'heure, la communauté serbe refuse, au nom de je ne sais quel sentiment de supériorité, de s'intégrer pleinement à la vie institutionnelle du pays. Pourtant, tout a été fait pour que les Serbes se sentent aussi chez eux et soient associés au fonctionnement des institutions kosovares, qu'il s'agisse de l'administration ou du gouvernement. Ils ont même plus de droits que la majorité albanaise ! La Constitution, qui s'inspire du plan Ahtisaari, offre aux minorités de larges garanties. Des garanties qui ont été précisées et approfondies par le Parlement dans quelque 41 lois spécifiques. Conformément aux principes Badinter, les Serbes disposent de 10 sièges sur 120 au Parlement. Ce système n'est pas vraiment démocratique, mais c'est un bon moyen de préserver leurs droits. Qu'ils participent ou non aux élections, qu'ils gagnent ou qu'ils perdent, leur place est garantie dans les institutions kosovares.
Si ce processus a pu avoir lieu, c'est parce que les esprits ont mûri et que la majorité albanaise n'est plus animée par une soif de revanche. Nous souhaitons clore ce chapitre tragique, qui a laissé des traces profondes dans notre mémoire ; nous voulons aujourd'hui ouvrir le chemin qui nous mènera à la porte de l'Union européenne et de l'Otan - et cela, afin d'assurer la paix et la sécurité dans toute la région.
I. M. - Quelles sont les menaces qui planent sur votre pays ?
F. S. - Cela fait neuf ans que nous sommes sortis de la guerre, et notre parcours n'a pas été facile. Neuf ans pendant lesquels la Serbie, malgré sa faiblesse, a continué à réprimer le Kosovo. Car le paradoxe est là : les Serbes n'ont jamais demandé pardon pour les crimes commis au Kosovo et en Bosnie. Et ils essaient toujours, en recourant aux mêmes méthodes, de maintenir leur mainmise sur le Kosovo et les autres pays de la région - ce qui est désormais impossible.
La Serbie s'est toujours plus souciée de ses intérêts que de ses citoyens. Aujourd'hui, l'élite politique est devenue plus pro-occidentale, mais la situation n'a pas fondamentalement changé. Il faut pourtant que les Serbes comprennent qu'ils doivent laisser le Kosovo se développer tranquillement et établir de bonnes relations avec ses voisins. Les autorités de Belgrade doivent, notamment, livrer au tribunal de La Haye les criminels de guerre qu'elles continuent de protéger (2), comme elles l'ont fait pour Karadzic.
Vous parliez de menace : je n'en vois qu'une et c'est celle-là. Mais, quoi qu'il arrive, il n'y aura pas de retour en arrière.
I. M. - Que voulez-vous dire ?
F. S. - Je veux dire qu'aucun pays ne remettra en cause l'indépendance du Kosovo. Ce qui est fait est fait. Pour des raisons qui lui sont propres, la Fédération de Russie s'est comportée de façon irrationnelle au Conseil de sécurité des Nations unies, n'hésitant pas à faire pression sur ses alliés pour qu'ils ne votent pas la reconnaissance. Mais je vous rappelle que le Kosovo ne crée aucun précédent au regard du droit international : comme l'a souligné le rapport Ahtisaari, il s'agit d'un cas sui generis, d'un point de vue à la fois historique et politique. C'est la communauté internationale qui a violé la souveraineté de la Yougoslavie ; pas nous. Et c'est sa politique qui nous a conduits à proclamer l'indépendance de notre État.
I. M. - La Serbie a déposé une plainte auprès de la Cour internationale de Justice (3), pour contester les conditions dans lesquelles le Kosovo a proclamé son indépendance. Qu'en pensez-vous ?
F. S. - Cette démarche est vouée à l'échec. La preuve ? Le jour même où la Serbie a porté plainte contre nous, quatre États ont reconnu le Kosovo : le Portugal, les Émirats arabes unis, le Monténégro et la Macédoine. N'est-ce pas la meilleure réponse aux récriminations serbes ? Le fait que nos voisins nous aient reconnus prouve bien que le danger de déstabilisation régionale que nos adversaires avaient mis en avant n'était qu'un fantasme. Le Kosovo a déjà bien assez de problèmes sans en créer ailleurs. Nous souhaitons avoir des relations de bon voisinage avec tout le monde, y compris avec la Serbie.
I. M. - Vous l'avez dit vous-même : pour l'instant, seuls 60 États ont reconnu le Kosovo. On est très en deçà de l'objectif de cent en six mois que vous vous étiez fixé...
F. S. - C'était un chiffre sans grande signification. Mieux vaut la qualité que la quantité. L'essentiel, c'est que le Kosovo ait été reconnu par les trois quarts de l'Union européenne (UE), 60 % du PIB mondial et sept pays du G8. Ces 60 pays qui ont reconnu le Kosovo représentent également 80 % du budget des Nations unies. Ce sont ces pays-là qui ont soutenu le Kosovo dans les moments difficiles.
I. M. - Quand votre pays pourra-t-il devenir membre de l'ONU ?
F. S. - Le jour où il sera reconnu par 90 …