Entretien avec
Nikola Gruevski
par
Isabelle Lasserre, chef adjointe du service Étranger du Figaro
n° 124 - Été 2009
Isabelle Lasserre - Monsieur le Premier ministre, la Grèce laissera-t-elle un jour la Macédoine se rapprocher de l'Union européenne et de l'Otan ? Nikola Gruevski - La Macédoine subit un traitement discriminatoire. Nous avons franchi avec succès toutes les étapes qui devaient nous mener à l'Alliance atlantique. Nous avons effectué les réformes réclamées par Bruxelles pour entrer dans l'Union. Mais, apparemment, c'est encore insuffisant aux yeux d'Athènes, qui a bloqué notre candidature à l'Otan (1). La Grèce va plus loin : elle exige que nous changions de nom. Elle exerce un chantage permanent sur la Macédoine, qui vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Athènes s'est lancée dans une campagne de dénigrement hystérique et affirme que nous sommes une menace potentielle pour l'Union. Mais qui peut croire cela ? Nous sommes deux millions d'habitants et les Grecs dix millions ; ils sont beaucoup plus riches et plus puissants que nous. Et nous représenterions un danger ? I. L. - Où en sont les négociations avec l'Otan ? N. G. - Elles sont au point mort. Avant le sommet de Bucarest, de longs pourparlers avaient abouti à une proposition du médiateur de l'ONU : ARYM (2), notre nom provisoire, devait être remplacé par « République de Macédoine-Skopje ». Nous avions donné notre accord et proposé d'organiser un référendum sur le sujet. Mais la Grèce a refusé. De fortes pressions ont alors été exercées par la communauté internationale jusqu'au dernier moment - en vertu de l'accord intérimaire signé en 1995 sous la tutelle de l'ONU (3) - pour convaincre les autorités d'Athènes de laisser la Macédoine adhérer à l'Otan sous son appellation temporaire, en attendant de trouver une solution. Mais les Grecs s'y sont aussi opposés. De retour de Bucarest, le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères grecs ont été accueillis en héros. On pouvait lire sur leurs visages la fierté des vainqueurs. Ils avaient le sentiment d'avoir remporté une victoire non seulement contre nous, mais aussi contre les grandes puissances qui les invitent à plus de modération, notamment les États-Unis. Nous avons alors tenté de renégocier, en espérant qu'après cette démonstration de force ils se calmeraient. Peine perdue : ils ont, au contraire, durci leurs positions. I. L. - C'est-à-dire ? N. G. - Ils ont exprimé de nouvelles revendications : ils veulent maintenant choisir eux-mêmes le nouveau nom de la Macédoine ! Ce nom doit, selon eux, être utilisé sur la scène internationale, mais aussi à l'intérieur du pays, ce qui signifie que nous devrons modifier tous les documents officiels, la Constitution, etc. Les Grecs demandent aussi que l'Église orthodoxe de Macédoine (4) s'appelle autrement... En fait, ils veulent nous obliger à changer d'identité. Si l'on se pliait à leurs exigences, la nation et la langue macédoniennes n'existeraient plus ! À Bruxelles, de nombreux représentants européens me disent qu'ils trouvent la situation intenable. Mais au nom du sacro-saint consensus, ils refusent d'ouvrir les hostilités. Nous avons donc décidé de porter plainte devant la Cour internationale de Justice, à La Haye. La procédure va durer quatre ans. Nous espérons que, d'ici là, après les élections en Grèce, les négociations pourront reprendre... I. L. - Comment expliquez-vous cette radicalisation ? N. G. - Tout a commencé au début des années 1990 (5). Jusque-là, personne ne se doutait qu'il existait un problème entre la Grèce et la Macédoine. Mais, à Athènes, les gouvernements successifs ont monté l'affaire en épingle et l'ont instrumentalisée à des fins politiques. Peu à peu, la question macédonienne est devenue un enjeu national et un thème porteur sur la scène intérieure. Aujourd'hui, la Grèce a lancé une campagne diplomatique très violente contre nous. Les responsables grecs nous traitent de populistes, de nationalistes, ils nous insultent... Ils prétendent que nous leur volons leur histoire. Mais on ne peut pas voler l'Histoire ! On ne peut pas réécrire le passé ni effacer ce qui a eu lieu... I. L. - Pourriez-vous accepter un compromis ? N. G. - Pour les dirigeants grecs, l'enjeu se réduit à un point en plus ou en moins dans les sondages... Mais pour nous, il s'agit de notre identité, de notre destin, de notre avenir : c'est une vraie question nationale. Où est le principe d'équité dont on se gargarise à Bruxelles ? Est-il équitable de nous refuser d'entrer dans l'Otan ou dans l'Union européenne sous prétexte que nous ne voulons pas changer le nom de notre pays ? Imaginez un instant que votre président annonce que la France ne s'appelle plus la France, que vous devez renoncer à votre identité et vous exprimer dans une langue qui ne s'appelle plus le français. Le pays serait à feu et à sang en 24 heures ! Les citoyens sont prêts à un compromis, mais pas n'importe lequel. Nous souhaitons être accueillis dans les structures internationales en tant que Macédoniens, pas sous une autre étiquette... Nous ne pourrons pas trouver de solution seuls. Pour parvenir à un compromis, il faut être deux. Or, en face, les esprits n'évoluent guère. Peut-être les Grecs sont-ils conscients d'être allés trop loin, dans le seul but de marquer des points sur le terrain politique. Je pense qu'à force de chauffer à blanc l'opinion publique ils ont fini par devenir dépendants de leur propre discours. Ils ont joué avec le feu et n'arrivent plus à faire marche arrière... I. L. - N'y a-t-il pas, malgré tout, un dirigeant grec avec lequel vous pourriez discuter et enterrer cette querelle ? N. G. - Si tant est qu'il en existe un, il se trouve certainement dans une situation inconfortable qui l'empêche de dire ce qu'il pense. Aujourd'hui, pour devenir populaire à Athènes, il suffit de proclamer haut et fort sa volonté de barrer la route à la Macédoine. I. L. - Lorsque, en 2001, une mini-guerre éclata entre les Slaves orthodoxes et les Albanais (6), la promesse d'un rapprochement avec l'Union européenne permit aussitôt le retour au calme. À l'époque, la France avait joué un grand rôle dans le règlement …
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