Entretien avec
Bruno Le Maire, Ministre français de l’Économie, des Finances et de la Relance
par
Baudouin Bollaert, ancien rédacteur en chef au Figaro, maître de conférences à l'Institut catholique de Paris
n° 124 - Été 2009
Baudouin Bollaert - Quelle est votre analyse des résultats des élections européennes du 7 juin dernier ? Bruno Le Maire - Les Français ont donné un signal politique fort. Loin de tout vote sanction, ils ont au contraire récompensé les listes qui ont parlé d'Europe, défendu un projet clair et des convictions fortes. C'est ainsi que j'interprète le vote du 7 juin : le succès des listes UMP reflète bien ce message. Car face aux partis qui ont voulu nationaliser la campagne, l'UMP a su mettre en valeur le message européen qu'avait porté le président de la République pendant la présidence française de l'Union européenne. Nous souhaitons une Europe politique forte, qui défende les intérêts des Européens, et qui soit surtout une force de propositions en faveur d'un nouveau développement économique mondial, respectueux de l'environnement, face aux États-Unis et à la Chine. Aujourd'hui, l'UMP est la première famille européenne en France ; je ne peux que m'en réjouir. B. B. - Vous êtes secrétaire d'état aux Affaires européennes depuis six mois. Le résultat des européennes mis à part, quelle est votre meilleure surprise à ce poste et la moins agréable ? B. L. M. - La mauvaise surprise, c'est le café que l'on nous sert à Bruxelles ! Que ce soit lors des réunions du Conseil Affaires générales ou même à l'occasion des sommets européens, il est toujours aussi mauvais ! La bonne nouvelle - et cela m'a frappé durant la récente campagne électorale -, c'est l'intérêt très fort de nos concitoyens, notamment des plus jeunes, pour les dossiers européens, les projets communautaires et la façon dont fonctionne l'Union. J'ai participé à de nombreuses rencontres avec les jeunes. J'ai pu vérifier qu'il existait chez eux une vraie passion de l'Europe. Leur abstention massive n'est pas synonyme de rejet de l'Europe ; c'est au contraire un défi qui nous est lancé. Ils ont conscience que leur avenir se joue largement dans ce vaste espace et ils ne comprennent pas que les réponses de certains dirigeants politiques à leurs questions n'épousent pas cette dimension. B. B. - Vous définissez-vous comme un Européen de coeur ou un Européen de raison ? B. L. M. - Les deux à la fois ! Si l'on veut vraiment renforcer la construction européenne, il faut y mettre beaucoup de coeur et d'engagement personnel. C'est ce que j'essaie de faire. En même temps, il faut garder à l'esprit que la construction européenne est fondée sur la raison, que l'affrontement entre les peuples est dépassé, que la guerre entre les États membres n'est plus possible et que l'intérêt collectif commande d'avancer vers une Union de plus en plus étroite. B. B. - Quels sont les dirigeants qui, sur le plan européen, vous ont le plus impressionné depuis votre arrivée au gouvernement ? B. L. M. - D'abord, permettez-moi de vous dire que la qualité des dirigeants européens et de leurs débats m'a frappé d'emblée. On n'en parle pas assez, alors je le dis. Et c'est plutôt une bonne nouvelle pour l'Europe ! Ensuite, plutôt qu'un personnage en particulier, c'est le couple Sarkozy-Merkel qui m'a impressionné. Au beau milieu de la crise économique et financière, le président de la République française et la chancelière allemande ont réussi à trouver et à imposer des solutions européennes au G-20 de Londres. B. B. - Ils n'ont pourtant pas semblé sur la même ligne au début de la crise. Le « à chacun sa merde » d'Angela Merkel en porterait témoignage... B. L. M. - J'ai beaucoup d'admiration pour Mme Merkel, je connais bien son vocabulaire et je n'imagine pas un seul instant qu'elle ait pu prononcer ce genre de phrase ! B. B. - Et à quelle personnalité européenne du passé vous identifiez-vous le plus volontiers ? B. L. M. - Je ne cache pas l'estime que je porte à l'ancien chancelier social-démocrate Willy Brandt, notamment pour sa politique d'ouverture à l'Est - l'Ostpolitik - qui a contribué, avec d'autres événements, à la chute du mur de Berlin. Willy Brandt est aussi le chancelier allemand qui, le premier, s'est agenouillé devant le mémorial des Juifs morts dans le ghetto de Varsovie. C'est donc un homme qui compte à mes yeux, tout comme l'ancien président tchèque Vaclav Havel que j'ai eu la chance de rencontrer à Prague il y a quelques mois. B. B. - Vous admirez Willy Brandt. Pourtant, il est de notoriété publique que le chancelier ne s'entendait pas très bien, à l'époque où il exerçait le pouvoir, avec le président Pompidou... B. L. M. - Vous savez, les relations entre les dirigeants français et allemands ont toujours été singulières. Quant à Willy Brandt, il a vraiment fait preuve de courage politique. Il a été capable de changer la donne : d'une part, en faisant franchir à l'Allemagne un pas très important dans la prise de conscience de son passé ; d'autre part, en nouant de nouvelles relations avec les pays d'Europe centrale et orientale. B. B. - Vous vous disiez frappé, tout à l'heure, par l'efficacité du couple Sarkozy-Merkel. Croyez-vous le président et la chancelière en mesure de débloquer durablement la machine européenne et de lancer une initiative commune, voire une « coopération renforcée » si certains de leurs partenaires ne veulent pas les suivre ? B. L. M. - Il ne faut pas s'enfermer dans des schémas institutionnels trop étroits du genre « coopérations renforcées ». Dans mon discours de Nuremberg, le 15 mai dernier, j'ai tenté de distinguer trois étages différents dans ce que peuvent faire ensemble la France et l'Allemagne. Premier étage : développer des coopérations bilatérales sur des projets très concrets. Dans l'industrie automobile, par exemple, travaillons ensemble sur le moteur électrique ; en matière énergétique, essayons de mettre sur pied une centrale d'achat gazière ; dans le domaine spatial, coopérons davantage... Voilà des secteurs où le travail à deux peut s'avérer très utile. B. B. - Et le deuxième étage ? B. L. M. - Ce deuxième étage concerne ce que j'appelle les « grands …
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