Entretien avec
Hamid Karzaï, Président de l'Afghanistan
par
Renaud Girard
n° 125 - Automne 2009
Renaud Girard - Au lendemain de l'élection présidentielle du 20 août dernier, votre principal adversaire, le Dr Abdullah Abdullah, a parlé d'une fraude massive. Il vous a reproché d'avoir organisé une gigantesque « fraude d'État ». Que répondez-vous à ces graves accusations ? Hamid Karzaï - Pendant sept ans, la presse occidentale m'a constamment reproché d'être trop tolérant, trop accommodant. Eh bien, je n'ai pas l'intention de changer. Je ne répondrai donc pas aux remarques de M. Abdullah. Cela est une élection : il y a forcément un vainqueur et un perdant. En fait, les électeurs ont voté exactement comme en 2004. L'Afghanistan est une société traditionnelle aux structures tribales. Les gens votent collectivement. Ce sont des blocs entiers de voix qui se sont portés sur mon nom ou sur celui de M. Abdullah. La manière dont les médias britanniques et américains ont manqué de respect à l'égard de ces élections m'a beaucoup déçu. Songez aux vingt-deux collaborateurs de la Commission électorale qui ont trouvé la mort dans ce processus démocratique honni par les talibans. Songez aux policiers afghans et aux soldats de l'Otan qui ont été tués. Ces journalistes cherchent à délégitimer le futur gouvernement afghan. Si cette manipulation médiatique a pour but d'installer un gouvernement de marionnettes, cela ne marchera pas. En Afghanistan, les marionnettes n'ont jamais porté chance à leurs maîtres étrangers. Par le passé, les empires britannique et soviétique ont essayé. La manoeuvre a échoué lamentablement. J'espère pour eux que les Américains résisteront à la tentation, car ils s'exposeraient au même destin. Quant aux élections, il y a eu des fraudes en 2004, il y en a aujourd'hui, il y en aura demain. C'est, hélas, inévitable dans une démocratie naissante. Mais notre loi donne tous pouvoirs à une commission indépendante (1) pour statuer sur les plaintes déposées et corriger les résultats. R. G. - Vous êtes au pouvoir depuis sept ans et demi. Quels ont été vos succès, vos échecs ? H. K. - Mon gouvernement a redonné l'Afghanistan aux Afghans. Communistes, moudjahidins, religieux, non-religieux, hommes, femmes, riches, pauvres : tous sont revenus en Afghanistan. Les Afghans pauvres, qui étaient réfugiés par millions au Pakistan et en Iran, sont de retour dans leurs villages. Les riches Afghans d'Europe et d'Amérique sont eux aussi revenus dans leur pays, où ils tentent de s'enrichir encore davantage. Nous avons rétabli un État, un Trésor public. En 2002, l'Afghanistan n'avait que 180 millions de dollars de réserves de change. Il en a aujourd'hui 3,7 milliards. En 2002, les Afghans se servaient de cinq monnaies différentes. Ils n'utilisent aujourd'hui que l'afghani, dont le cours est stable. Des milliers de garçons et de filles sont scolarisés. L'enseignement supérieur progresse. La liberté de la presse est totale, parfois à la limite de l'anarchie. L'Afghanistan a reconstruit son économie. Voilà pour nos succès. Mais nous n'avons pas réussi à apporter la paix à tout le territoire, nous n'avons pas vaincu le terrorisme. C'est une responsabilité que je partage avec la communauté internationale. Ma tristesse la plus grande aujourd'hui ? Tous ces morts, soldats de l'Otan comme civils afghans. R. G. - Quels devraient être les premiers cent jours de votre nouveau mandat ? H. K. - Je vais d'abord constituer une équipe ministérielle de meilleure qualité. Ensuite, rétablir la confiance avec les gouvernements étrangers, surtout les Américains et les Britanniques. L'Afghanistan est leur ami, leur partenaire. Mais, dans ce partenariat, nous réclamons dignité, respect et sécurité. La guerre contre le terrorisme ne sera gagnée que si les Afghans y sont pleinement associés. R. G. - Au cours de la campagne, vous avez déclaré que vous offririez un poste au Dr Abdullah. Cette proposition tient-elle toujours ? H. K. - Si vous parlez d'un arrangement électoral, il n'en est pas question. Raison de plus s'il était imposé de l'étranger... Ce scrutin démocratique, qui a coûté des millions de dollars et pour lequel des dizaines d'Afghans sont morts, n'aurait alors plus de sens. À quoi bon organiser des élections si tout est décidé à l'avance ? Je proposerai à tous les Afghans compétents souhaitant travailler avec moi pour le bien du pays une place au sein de mon gouvernement. R. G. - Allez-vous constituer un gouvernement d'unité nationale ? H. K. - Je ne sais pas ce que vous entendez par « unité ». J'ai toujours été un homme d'unité. C'est même ce que me reproche la presse internationale. R. G. - Comment engager un processus de réconciliation nationale avec les talibans ? H. K. - C'est une initiative que je prendrai dans les cent premiers jours de mon mandat. J'y pense depuis longtemps mais, jusqu'à présent, nos alliés n'étaient pas favorables à un dialogue avec les talibans. J'ai remarqué un changement d'attitude du président Obama par rapport à son prédécesseur. Les Américains parlent maintenant de « réintégration ». Nous devons jouer sur ces deux concepts de réintégration et de réconciliation. Mais attention, je pose des conditions à l'ouverture de ce dialogue. Premièrement, notre élite politique et nos alliés - y compris l'Arabie saoudite - doivent bien comprendre ce que nous faisons. Deuxièmement, nous devons agir tous ensemble. Troisièmement, nous devons avoir les moyens de nos ambitions. Enfin, très important : pas question de négocier quoi que ce soit avec des talibans qui ne renonceraient pas à leurs liens avec Al-Qaida ou qui refuseraient de reconnaître la Constitution afghane. R. G. - Seriez-vous prêt à accorder des sauf-conduits aux talibans « politiques », afin qu'ils puissent venir négocier à Kaboul ? H. K. - Oui, dès demain. R. G. - Au cours de votre prochain mandat, envisagez-vous de venir en aide aux orphelins, aux veuves et aux enfants sans abris ? H. K. - Absolument. Je consacre 1,5 % du revenu national aux orphelins, aux handicapés et aux victimes de la guerre. Cette somme est appelée à croître à mesure que notre budget augmentera. Mais il faut chercher des aides supplémentaires. Le mois dernier, j'ai organisé un déjeuner pour des jeunes orphelins. Je les avais rencontrés …
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