Entretien avec
Hans-Georg Wieck
par
Jean-Paul Picaper, responsable du bureau allemand de Politique Internationale.
n° 125 - Automne 2009
Jean-Paul Picaper - Vos adversaires de la Stasi ont affirmé, après la réunification allemande, qu'ils étaient « meilleurs que le BND »... Hans-Georg Wieck - C'est ce qu'ils m'ont dit, en effet. « Naturellement - leur ai-je répondu -, vous disposiez d'un très bon savoir-faire professionnel ; mais vous aviez également une idéologie qui vous empêchait d'appréhender la réalité. Vous viviez dans un monde artificiel. » J.-P. P. - Pourtant, ils s'appuyaient sur de nombreux agents très bien formés... H.-G. W. - Certes, mais ils ne connaissaient pas leurs propres collaborateurs parce qu'ils les voyaient à travers le prisme d'une doctrine ! Quant à ceux qui ne pensaient pas comme eux, ils ne pouvaient tout simplement pas les comprendre. De sorte qu'ils étaient incapables de se définir eux-mêmes par rapport au monde environnant. Là résidait la différence principale entre eux et nous. Ils ont tout simplement ignoré ce que leur population ressentait, souhaitait et voulait réaliser. C'est pourquoi j'estime qu'ils se trompent en affirmant qu'ils étaient meilleurs que nous. Dire que les services secrets occidentaux en général et ouest-allemands en particulier étaient « faibles » relève de la fiction. J.-P. P. - Votre rôle en RFA était cependant moins important que celui de la Stasi en RDA... H.-G. W. - Le BND était - et est toujours - avant tout une instance vouée à livrer des analyses. On n'aime pas associer les services de renseignement aux décisions. Par surcroît, à la différence de la Stasi, nous n'avons jamais cherché à influencer la politique des autres pays. J.-P. P. - Le BND venait de subir une crise quand vous y êtes arrivé... H.-G. W. - On avait quelque peu négligé le traitement scientifique des données. Je venais de l'extérieur du service. J'ai réorienté son travail vers l'analyse de la situation globale. En arrivant, j'ai expliqué à mes collaborateurs que l'Union soviétique était en train de changer. Après une longue phase de stagnation idéologique, économique et politique, elle entamait une phase de réformes décisives. Moi qui avais travaillé auparavant au Conseil de l'Otan, j'en avais peut-être plus conscience que certains spécialistes qui avaient passé toute leur carrière au BND. Résultat : notre renseignement militaire a joué un rôle important dans cette phase ultime de la guerre froide. On a pu déduire des dossiers de la Stasi et du KGB auxquels nous avons eu accès après 1989 que, de 1948 à 1990, nous avions estimé avec justesse les capacités militaires de l'Union soviétique et du Pacte de Varsovie. Les analyses que j'avais eues en main à l'Otan, ainsi que les informations communiquées par nos collègues américains, britanniques et français, jointes aux nôtres, nous donnaient une image exacte de la situation. Nous étudiions également avec une grande attention les informations économiques et le climat politique à l'Est. J.-P. P. - Votre perception de la RDA était donc juste ? H.-G. W. - Je me suis rapidement aperçu que, au sein du service, les appréciations concernant la RDA divergeaient significativement. J'ai pris des mesures visant à corriger cette cacophonie. Une idée dominait toutefois : celle qu'un sentiment national est-allemand s'était formé au sein de la population. Or j'avais souvent traversé la RDA en voiture, lors de mes déplacements professionnels à Moscou. J'ai dit à mes collaborateurs qui affirmaient que les Allemands de l'Est s'identifiaient de plus en plus à leur État : « Ce n'est pas du tout mon impression. Les conversations que j'ai eues avec nos compatriotes de l'Est ne le confirment pas. Alors, procédons à des analyses sur la base de sondages. » J.-P. P. - Comment pouviez-vous effectuer des sondages auprès des citoyens de la RDA ? H.-G. W. - Figurez-vous que nous avons eu énormément de gens à notre disposition pour ce projet. De plus en plus d'Allemands de l'Est se rendaient régulièrement dans les pays occidentaux, à commencer par la RFA. Certains venaient voir leur famille ; d'autres participaient à des conférences dans tous les coins de l'Europe. Nous les interrogions, notamment dans les trains. Synthétisés tous les six mois, ces sondages ont fini par donner une image bien différente de celle qui avait cours officiellement. Ce tableau a confirmé ma supposition, à savoir qu'une grande majorité des Allemands de l'Est aspiraient à la réunification, même s'ils ne pouvaient pas dire quand elle pourrait arriver. Et à la question de savoir pourquoi ils la souhaitaient, 75 % d'entre eux déclaraient que, tout d'abord, les Russes devaient partir, et qu'ensuite Honecker devait les suivre. Alors, estimaient-ils, le système s'écroulerait et ils obtiendraient le niveau de vie de la République fédérale. La question de la démocratie n'était pas au centre de leurs préoccupations. J.-P. P. - Quid des 25 % restants ? H.-G. W. - Il s'agissait, pour la moitié d'entre eux, de membres de la nomenklatura communiste. Ces gens désiraient naturellement le maintien d'un système dont ils profitaient pleinement. L'autre moitié se composait de dissidents et d'intellectuels qui appelaient de leurs voeux un deuxième État allemand, mais plus démocratique que la RDA. Ils redoutaient la résurgence d'un nouvel État allemand unitaire. Car ces individus cultivés se souvenaient de la légèreté avec laquelle on était parti à la Première Guerre mondiale et du coup de folie que commit Hitler en déclenchant la Seconde Guerre. Ils ne voulaient pas courir le risque de voir l'Histoire recommencer... Toutes ces questions intéressaient beaucoup les pays voisins, comme vous pouvez l'imaginer. Des services amis me demandaient souvent ce qui se passerait si l'Allemagne était réunifiée. L'idée de coexister à nouveau avec un pays de 80 millions d'habitants, doté en outre d'une économie puissante, les inquiétait. Je m'efforçais de les tranquilliser en leur expliquant qu'une Allemagne réunifiée continuerait à suivre la ligne directrice de la République fédérale puisque cette dernière avait parfaitement réussi. J.-P. P. - Aviez-vous des agents en RDA ? H.-G. W. - Jusqu'à la construction du Mur, en 1961, le BND avait eu des milliers d'informateurs en RDA. Lors du blocus de Berlin comme au moment de la construction du Mur, nous avons toujours …
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