Entretien avec
Anders Fogh Rasmussen, Secrétaire général de l'Otan depuis août 2009.
par
Antoine Jacob, journaliste indépendant couvrant les pays nordiques et baltes. Auteur, entre autres publications, de : Les Pays baltes, Lignes de repères, 2009 ; Histoire du prix Nobel, François Bourin Éditeur, 2012.
n° 125 - Automne 2009
Antoine Jacob - Vous avez pris vos fonctions, le 1er août, au sein d'une organisation qui a éprouvé des difficultés à se trouver une place après la fin de la guerre froide. Certains ont même douté de la nécessité de conserver une telle structure puisque l'ennemi ayant justifié sa création - l'Union soviétique - avait disparu. Vingt ans après la chute du Mur de Berlin, qu'est-ce qui justifie l'existence de l'Otan ? Anders Fogh Rasmussen - Permettez-moi de rappeler, tout d'abord, que l'histoire de l'Otan est un beau succès. C'est sans doute la plus réussie des alliances de toute l'Histoire ! Pendant soixante ans, elle a procuré sécurité et stabilité aux pays de l'hémisphère Nord. Et elle a remporté la guerre froide. Avec l'effondrement du communisme, une menace a cessé d'exister. Mais d'autres dangers sont apparus. Je pense, bien entendu, au terrorisme, mais aussi aux cyberattaques, à la piraterie ou encore aux risques qui pèsent sur la sécurité énergétique. D'une certaine manière, la vie était plus simple pendant la guerre froide ! À l'époque, l'ennemi était clairement identifié... De nos jours, les menaces sont plus diffuses, mais tout aussi réelles. C'est pourquoi je suis convaincu que l'Otan a encore toute sa raison d'être. Naturellement, elle doit s'adapter à cette nouvelle donne. A. J. - Pouvez-vous nous parler de cette « adaptation »? A. F. R. - Désormais, la défense du territoire des pays membres de notre Alliance commence très loin de nos frontières. Par exemple, dans les montagnes et les déserts d'Afghanistan... Dès lors, il est évident que nous avons besoin de transformer nos forces armées, qui ont été pensées avant tout pour défendre nos pays contre des invasions « classiques ». Il faut faire en sorte que ces forces armées deviennent plus flexibles et plus faciles à déployer, afin de participer plus efficacement à des opérations militaires internationales. En un mot, nous avons encore besoin de l'Otan ; mais nous avons surtout besoin d'une nouvelle Otan. A. J. - C'est cette prise de conscience qui a incité votre prédécesseur, Jaap de Hoop Scheffer, à lancer, l'an dernier, un processus de rénovation du « concept stratégique de l'Otan ». Selon vous, quels doivent être les champs de compétence de l'Otan de demain ? A. F. R. - Le nouveau concept stratégique servira de cadre à la transformation de l'Otan. Il repose sur une vision de l'Alliance qui s'articule en plusieurs points : 1) l'Otan en tant que pourvoyeur de défense territoriale et de dissuasion ; 2) l'Otan en tant que fournisseur de sécurité globale ; 3) l'Otan en tant que centre de dialogue global sur la sécurité ; 4) l'Otan en tant que participant au nation building. Comme je l'ai déjà dit, il est indispensable d'améliorer notre capacité de déploiement. Plus de 70 % des forces armées en Europe sont stationnaires, ce qui signifie qu'elles ne peuvent pas être déplacées rapidement. Il faut y remédier. A. J. - En ce moment, les États doivent faire des choix difficiles dans leurs dépenses et n'accordent pas souvent la priorité aux capacités militaires. Cette situation risque-t-elle de nuire à la transformation que vous appelez de vos voeux ? A. F. R. - En période de crise économique, il est encore plus important de réformer les forces armées ! Ne serait-ce que parce qu'une réforme réussie rendra nos investissements militaires plus rentables. La crise financière n'est pas un argument qui va à l'encontre des changements. Au contraire, elle doit nous inciter à les entreprendre. A. J. - Vous souhaitez que les armées de l'Alliance mettent l'accent sur leur capacité à se projeter sur des théâtres lointains. Mais une telle évolution n'affaiblirait-elle pas la défense « traditionnelle » des territoires de nos pays ? A. F. R. - Je pense l'inverse : si nous voulons renforcer notre défense territoriale, nous devons précisément augmenter notre capacité de projection. De nos jours, la défense territoriale commence très loin de nos frontières géographiques, à cause du développement du terrorisme international. On l'a vu le 11 septembre 2001 : les terroristes qui ont frappé l'Amérique avaient leurs bases en Afghanistan. Si l'Otan est aujourd'hui impliquée dans ce pays, c'est pour notre sécurité à tous ! Nous ne pouvons pas permettre que l'Afghanistan redevienne un refuge pour les terroristes. Il n'y a donc aucune contradiction entre la défense de nos territoires et la projection de nos troupes dans des pays lointains. Je dirai même que la première dépend étroitement de la seconde. A. J. - Vous avez évoqué l'émergence de nouvelles menaces, parmi lesquelles la piraterie - une pratique fort ancienne mais qui a pris une ampleur de plus en plus préoccupante ces dernières années. Comment l'Otan peut-elle contribuer à la lutte contre ce phénomène ? A. F. R. - Il est naturel que l'Otan prenne part à des opérations maritimes visant à combattre les pirates. Je ne vous apprends rien en disant que la piraterie constitue une menace pour les nations qui disposent d'une grosse flotte commerciale. Or, parmi ces nations, on retrouve des membres de l'Otan, ainsi que des pays qui sont nos alliés. Par surcroît, la piraterie nuit à la croissance économique mondiale. Sans doute ces opérations devraient-elles être conduites en coopération avec l'Union européenne qui a, elle aussi, lancé une action anti-piraterie (2). Voilà un domaine dans lequel l'Otan et l'UE devraient agir de concert, au lieu de multiplier des efforts parallèles ! A. J. - Vous avez également dit que l'Otan devait réfléchir à son rôle dans la prévention des attaques provenant des réseaux informatiques... A. F. R. - Absolument. Il faut prendre conscience du fait que les attaques visant nos communications Internet constituent un danger de premier plan. Nous sommes devenus extrêmement dépendants de nos réseaux, qui doivent se trouver en bon état de fonctionnement de façon permanente. J'insiste : les cyber-attaques peuvent se révéler aussi sérieuses que des menaces militaires traditionnelles. A. J. - Si nous suivons ce raisonnement jusqu'au bout, l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord (3) devrait être mis en …
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