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LA LIBERTE OU LE SAUCISSON

Entretien avec Mikhaïl Khodorkovski, Président de l'ONG Open Russia, ancien PDG du groupe pétrolier Ioukos, par la Rédaction de Politique Internationale

n° 125 - Automne 2009

Politique Internationale - Après avoir été condamné, en 2005, à huit ans de prison pour escroquerie et fraude fiscale, vous êtes aujourd'hui de nouveau poursuivi pour blanchiment d'argent sale. La peine maximale qui pourrait être prononcée contre vous à l'issue du procès est de 21 ans. De votre point de vue, qu'est-ce qui explique ces nouvelles accusations dont vous faites l'objet ?
Mikhaïl Khodorkovski - Ces accusations sont complètement falsifiées, elles ne reposent que sur des inventions. Pis : dans les faits, elles contredisent directement celles dont j'ai fait l'objet en 2003 et qui m'ont valu d'être condamné en 2005 à l'issue de mon premier procès. À l'époque, mes accusateurs prétendaient que Ioukos n'avait pas payé tous les impôts dus pour le pétrole qu'il avait extrait et vendu. À présent, ils affirment que c'est moi, Mikhaïl Khodorkovski, qui aurais personnellement volé le pétrole, directement sur le puits dont il était extrait ! Mais, dans ce cas, cela signifie que Ioukos n'a jamais possédé de pétrole ! Si l'on suit cette théorie démente, alors Ioukos n'avait pas d'impôts à payer, et il n'y avait aucune raison de mettre l'entreprise en faillite pour avoir prétendument dissimulé ses revenus au fisc.
P. I. - Selon vous, pourquoi l'accusation commet-elle de telles erreurs de logique ?
M. K. - Avant tout parce que les gens qui ont concocté ce second procès ne sont pas très compétents. Ensuite, parce qu'ils sont certains de pouvoir faire tout ce qu'ils veulent sans jamais avoir à répondre de leurs actes...
P. I. - Qui a « commandité » ce second procès ?
M. K. - Il existe de nombreuses spéculations sur ce point. Des éléments concrets indiquent que les metteurs en scène de cette mascarade sont des fonctionnaires travaillant à un échelon intermédiaire du pouvoir. Ces fonctionnaires, ainsi que leurs partenaires du monde des affaires, se sont personnellement enrichis à l'issue du premier procès et de la faillite de Ioukos. J'en ai ouvertement parlé au tribunal. Je ne vais pas citer les noms de ces individus, car je sais que nos tribunaux seraient ravis de proclamer qu'ils sont honnêtes et que mes paroles révèlent de la calomnie. Mais chacun sait que les actifs de Ioukos se sont évaporés dans la nature...
P. I. - Quelle issue prévoyez-vous à ce second procès ?
M. K. - Je pense que cette question n'a pas été réglée à l'avance. D'après moi, même les initiateurs de ce procès ignorent comment il va se terminer. Cependant, il est indiscutable que le tribunal se montre tout à fait partial. Par exemple, on a refusé de répondre à mes interrogations portant sur de nombreux points de l'accusation, ce qui est absolument illégal.
P. I. - Globalement, quelle analyse faites-vous de la procédure judiciaire ? Vos droits sont-ils respectés ?
M. K. - La procédure est conduite de manière plus civilisée que lors du premier procès. Il n'empêche que le tribunal se place souvent du côté de l'accusation, sans s'en cacher, d'ailleurs. À la demande de l'accusation, le tribunal m'a interdit de commenter les preuves présentées contre moi. C'est pour le moins inhabituel. De plus, sans aucune raison, Platon Lebedev et moi-même avons été placés dans un « aquarium » en verre incassable pendant les audiences, et quand nous sommes transférés d'un endroit à un autre, nous sommes menottés et accompagnés de policiers portant des armes automatiques en bandoulière. Quant au juge, il déclare publiquement qu'il ne peut rien y faire...
P. I. - Dans quelle mesure la justice russe est-elle dépendante du pouvoir politique ? Comment ce procès se conduirait-il si la justice était réellement impartiale?
M. K. - Malheureusement, aujourd'hui, la justice russe dépend dans une très grande mesure du pouvoir exécutif. Mon procès actuel ne fait pas exception à la règle. Le tribunal attend que la direction politique lui dise quoi faire. Pour l'instant, il est clair que l'ordre n'a pas encore été donné. Ce qui est sûr, c'est que si le tribunal était indépendant et soumis exclusivement à la loi, il aurait tout simplement refusé d'examiner une affaire dans laquelle l'accusation contredit directement des décisions judiciaires prises par le passé et qui n'ont jamais été annulées. Dans ce dossier, il n'y a pas le moindre document prouvant que le crime supposé - des ventes de pétrole illégales - a eu lieu. Il n'y a ni rapport, ni plainte, ni même description des actions des accusés ! C'est très étrange, sans même parler du fait que c'est complètement illégal.
P. I. - Pouvez-vous nous décrire vos conditions de détention ? Êtes-vous seul en cellule ou avec d'autres détenus ?
M. K. - Aujourd'hui, les conditions de détention à Moscou sont assez correctes - à l'échelle russe, bien sûr. C'est dur, mais ce n'est pas insoutenable. Je ne peux discuter avec mes proches qu'à travers deux vitres et une grille, et je ne peux sortir dans la cour qu'une heure par jour (quand il n'y a pas d'audience au procès). Le reste du temps, je suis en cellule, en compagnie de plusieurs autres détenus. Chacun d'entre nous dispose d'un espace d'environ quatre mètres carrés. Mes co-détenus sont des gens calmes, je n'ai pas à me plaindre. Il faut savoir que la situation a fortement changé depuis 2003-2004 : à présent, il y a en prison de nombreuses victimes des attaques de raiders (2), comme précisément l'affaire Ioukos. À l'époque de mon premier procès, les détenus de ce type étaient très rares.
P. I. - Au moment de l'élection de Dmitri Medvedev, vous aviez déclaré espérer une évolution globale du pouvoir. Qu'en est-il aujourd'hui?
M. K. - Des changements sont en cours, c'est indiscutable. Mais je ne cache pas que je m'attendais à ce qu'ils soient beaucoup plus rapides et plus profonds, crise ou pas crise. Il est de plus en plus évident que le modèle selon lequel le pays est géré est inadapté à nos besoins réels. Le passage d'une économie fondée sur l'exploitation des matières premières à une économie diversifiée et reposant sur …