Entretien avec
Marwan Barghouti
par
Aude Marcovitch, correspondante de Politique Internationale en Israël.
n° 125 - Automne 2009
Aude Marcovitch - Vous êtes incarcéré depuis 2002. Que vous ont appris ces années de détention ? Vos opinions politiques ont-elles évolué au cours de cette période ? Marwan Barghouti - La prison est le pire des endroits où vivre pour un être humain. La situation est encore pire lorsqu'il s'agit d'une prison du pouvoir d'occupation israélien. Les conditions de détention et les interrogatoires sont extrêmement durs et cruels. Je suis passé par une expérience très difficile de confinement solitaire pendant de longues années. Malgré tout, la prison m'a permis de m'engager dans la méditation et la réflexion sur les choses de ce monde. J'ai pu réfléchir en profondeur à beaucoup de sujets. J'ai fini par répondre à certaines de mes interrogations ; d'autres demandent davantage de temps ; d'autres encore n'ont sans doute pas de solution. J'ai aussi lu des centaines de livres et de romans, de différentes cultures et en différentes langues, et j'ai approfondi ma compréhension de la nature de l'occupation. Fondamentalement, mes opinions n'ont pas changé suite à mon emprisonnement. Je crois toujours au droit du peuple palestinien à résister à l'occupation militaire et coloniale israélienne en accord avec le droit international. De même, je demeure convaincu que l'occupation israélienne n'a pas d'avenir dans les territoires palestiniens occupés en 1967 et que l'établissement de l'État de Palestine sur les frontières de 1967 est la seule solution. A. M. - Vous êtes le prisonnier palestinien auquel on prête le plus d'attention. Et, du côté israélien comme du côté palestinien, on vous présente souvent comme le prochain président de la Palestine. Quels sentiments cette situation vous inspire-t-elle ? M. B. - Je suis fier d'être le dirigeant palestinien le plus populaire, selon des sondages réalisés par différents instituts sérieux et transparents. Cette popularité prouve l'échec du gouvernement israélien qui a cherché, à travers mon arrestation et un procès illégitime, à réduire au silence ma voix - une voix qui rejette l'occupation et prône la liberté, l'indépendance et le droit au retour des réfugiés. Quant à la prochaine personne qui assumera les fonctions de président palestinien, le choix devra être fait par le peuple à travers des élections libres et démocratiques. Ce qui m'importe vraiment, c'est que ma patrie soit un État souverain ; la question de la présidence peut être examinée plus tard. A. M. - Vous avez longtemps été l'un des Palestiniens les plus recherchés par les services de sécurité israéliens. Or, désormais, l'idée de vous voir devenir le chef du futur État palestinien paraît acceptable. Comment l'expliquez-vous ? M. B. - Cette évolution prouve à la fois l'échec d'Israël, qui a voulu me présenter comme un criminel infréquentable, et le soutien du peuple palestinien à ses combattants de la liberté et de l'indépendance. Le peuple palestinien traite un chef honnête et loyal d'une façon spéciale, et je suis fier d'avoir toujours bénéficié de son appui. Je ne suis pas le premier leader d'un mouvement de libération nationale à subir la répression d'un pouvoir colonial. Ben Bella en Algérie, Mandela en Afrique du Sud, de Gaulle pendant la Seconde Guerre mondiale ; je pourrais multiplier les exemples ! Ma certitude, c'est que les leaders qui dirigent leurs peuples durant les guerres pour la liberté et l'indépendance sont les plus compétents pour faire la paix. A. M. - Quels sont vos liens avec les dirigeants politiques palestiniens ? Et avec les Israéliens ? Est-il vrai que des représentants politiques israéliens vous ont rendu visite ? Si oui, de qui s'agit-il ? M. B. - J'entretiens des liens ininterrompus avec les dirigeants palestiniens. Pendant les premières années de ma détention, ils pouvaient venir me rendre visite en prison. Mais, depuis trois ans, les autorités israéliennes ont interdit aux officiels palestiniens de me rencontrer. Je maintiens cependant le contact avec les dirigeants de toutes les factions palestiniennes par l'intermédiaire de mes avocats et de ma femme, l'avocate Fadwa Barghouti. S'agissant des dirigeants politiques israéliens, sachez que l'interdiction que je viens de mentionner s'étend également aux personnalités officielles israéliennes. Je n'ai jamais rencontré un seul dirigeant israélien depuis mon arrestation il y a plus de huit ans. Des membres de la Knesset m'ont cependant rendu visite. La grande majorité d'entre eux étaient des députés arabes, mais il y a eu également cinq parlementaires juifs. A. M. - Ces dernières années, l'immense espoir qu'avaient suscité les Accords d'Oslo s'est évanoui. Comment l'expliquez-vous ? M. B. - J'étais parmi les dirigeants qui ont soutenu les Accords d'Oslo malgré leurs carences et leur injustice à l'égard des Palestiniens (2). J'ai parcouru les territoires palestiniens pour demander à mes compatriotes de donner une chance à la paix. Hélas, à notre grand regret, le gouvernement israélien préfère l'occupation et la colonisation à la paix. La vérité, c'est qu'il n'y a pas de vrai partenaire pour la paix en Israël. J'en veux pour preuve le nombre de colonies et de logements qui ont été construits depuis la signature des Accords d'Oslo ; le processus de judaïsation de Jérusalem-Est occupée ; le refus d'Israël de mettre en oeuvre les accords ; la guerre ; les arrestations et les innombrables assassinats de militants ; le fait d'affamer les Palestiniens (3) ; et le fractionnement du territoire en cantons à travers l'installation de centaines de check-points qui ont fait de la vie des Palestiniens un enfer. A. M. - Est-il encore possible de parvenir à la paix entre Palestiniens et Israéliens dans les prochaines années ? Et de quelle manière ? M. B. - La paix ne peut être atteinte sans qu'Israël renonce à l'occupation et aux colonies, qu'il se retire jusqu'aux frontières de 1967 et laisse les Palestiniens établir leur propre État indépendant. Le gouvernement israélien doit reconnaître le droit du peuple palestinien à l'auto-détermination et son droit à établir un État indépendant et entièrement souverain, aux côtés de l'État d'Israël. Il devrait aussi accepter une solution à la cause des réfugiés en accord avec la résolution internationale 194 (4). La paix est possible. De toute façon, les deux …
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