Les Grands de ce monde s'expriment dans

LE PAKISTAN DE TOUS LES DEFIS

Entretien avec Asif ali Zardari par Emmanuel Derville, Journaliste indépendant, correspondant du Point et de Politique Internationale au Pakistan.

n° 125 - Automne 2009

Asif ali Zardari Emmanuel Derville - Monsieur le Président, accusé de corruption et de meurtre, vous avez passé onze ans en prison avant d'être libéré en 2004, sans jamais avoir été condamné. Quel regard portez-vous sur cette période et qu'avez-vous appris sur vous-même durant toutes ces années ?
Asif Ali Zardari - Je me suis toujours considéré comme un prisonnier politique et non comme un criminel. Mon séjour en prison m'a permis de découvrir au fond de moi une force intérieure que je ne soupçonnais pas. Pendant ces onze années, je n'ai jamais perdu espoir. Je savais qu'un jour ou l'autre mon parti - le Parti du peuple pakistanais (PPP) - reviendrait au pouvoir.
E. D. - À quelles conditions le Pakistan pourrait-il enfin sceller un accord de paix avec l'Inde ?
A. A. Z. - Comme vous le savez, c'est ma femme, Benazir Bhutto, qui a initié le processus de paix avec New Delhi. L'ancien premier ministre indien Rajiv Gandhi était venu la rencontrer au Pakistan en 1988, lorsqu'elle était elle-même premier ministre. C'était une première à l'époque. À part Nehru, aucun chef d'État indien n'avait foulé le sol pakistanais. Le PPP est convaincu depuis longtemps de la nécessité d'entamer des négociations de paix avec l'Inde. Mais si l'on veut parvenir à un accord, il est clair qu'il faut privilégier une approche régionale. Benazir soutenait le développement de la Saarc, la South Asia Association for Regional Cooperation (1). Elle en avait d'ailleurs présidé le premier sommet et elle voulait créer une union économique sud-asiatique, sur le modèle de l'Union européenne, afin de faciliter les échanges commerciaux. Cette idée qu'elle nous a laissée en héritage, je compte la mettre en oeuvre.
E. D. - Il reste malgré tout un long chemin à parcourir avant d'établir une relation de confiance entre vos deux pays. Le Pakistan reproche à l'Inde de ne pas avoir réduit le niveau de ses troupes à la frontière, d'infiltrer des agents de renseignement dans le sud de l'Afghanistan et de soutenir l'insurrection séparatiste au Baloutchistan... De son côté, l'Inde accuse le Pakistan d'héberger des mouvements terroristes et d'aider les groupes armés qui combattent les forces indiennes au Cachemire...
A. A. Z. - Vous avez raison, la confiance est loin d'être établie. En ce qui concerne le Baloutchistan, les choses ne sont pas aussi claires que vous le dites. Ceux qui représentent ou qui prétendent représenter les Baloutches (2) se prévalent du soutien de divers pays. Et parmi ces pays, l'Inde a été citée. Mais vous comprendrez bien que, dans le contexte actuel, au moment où nous mettons en place un processus de paix avec New Delhi, je ne souhaite pas commenter ce type d'information.
Cela dit, je suis optimiste quant à la poursuite des négociations. L'Inde, tout comme le Pakistan, sait qu'elle doit parvenir à un accord et développer ses relations économiques avec nous si elle aspire à devenir une grande puissance (3). Même si l'économie indienne connaît une forte croissance, une grande partie de sa population vit encore dans le dénuement. Quant au Cachemire, conformément à la résolution de l'ONU, nous appuyons le droit des Cachemiris à l'auto-détermination (4). Mais nous ne leur apportons qu'un appui moral et je peux vous assurer que nous n'aidons aucun groupe armé quel qu'il soit. Le Pakistan est une démocratie et il n'est pas dans sa nature de soutenir des mouvements violents ou extrémistes.
E. D. - Quels sont, dans l'histoire du Pakistan, les personnages dont l'exemple vous inspire ?
A. A. Z. - Il y a d'abord Muhammad Ali Jinnah (5) qui, avec quelques autres, a fondé le Pakistan. Sans lui je ne serais pas à ce poste aujourd'hui. Mais j'admire aussi Zulfikar Ali Bhutto (6). Il voulait donner le pouvoir au peuple afin de permettre aux plus faibles de se faire entendre. Avant lui, les Pakistanais votaient pour le candidat que leur désignait leur patron, et les hommes politiques n'avaient pas l'habitude de se mêler à la populace. Avec Zulfikar Ali Bhutto, ces pratiques ont changé : quand il était en déplacement, au lieu de rendre visite aux grands propriétaires terriens, il allait à la rencontre des gens. Lorsqu'il est arrivé au pouvoir, 90 % de la population vivaient dans les campagnes ; il a lancé une vaste réforme agraire (7) et a distribué des terres aux paysans. Jusque-là, les grands propriétaires avaient tous les droits, notamment celui de vendre les récoltes puis de reverser une part des recettes aux cultivateurs selon leur bon vouloir. Pis encore : les paysans pauvres étaient privés de passeport ; seuls les citoyens qui payaient des impôts pouvaient en obtenir un. Zulfikar Ali Bhutto a supprimé ces restrictions injustes. C'est lui, aussi, qui a institué le principe d'« un homme, une voix ». Son prédécesseur, le général Ayub Khan, avait mis en place le System of Basic Democracies selon lequel les dirigeants ne pouvaient être élus que par un corps électoral restreint (8).
E. D. - D'après vous, qui sont les hommes d'État étrangers qui ont le mieux compris le Pakistan ?
A. A. Z. - Je pense d'abord à George Bush père qui était en poste à Lahore avant de diriger la CIA (9). Cette expérience lui a permis d'acquérir une bonne connaissance de notre pays. De même, Barack Obama a voyagé au Pakistan (10). C'est d'ailleurs un amateur de cuisine pakistanaise ! Mais je ne vois personne qui soit réellement capable d'appréhender le Pakistan et sa région dans toute leur complexité. Prenez l'Afghanistan : les Britanniques ont tenté par deux fois de conquérir ce pays, mais ils n'ont jamais réussi à s'y implanter. Les Soviétiques l'ont occupé dans les années 1980 avant d'en repartir eux aussi. Depuis dix ans, la plupart des armées occidentales sont présentes sur place et quantité de livres ont été écrits sur le sujet. Pourtant aucun décideur au monde ne peut prétendre comprendre ce qui s'y passe. Moi-même je ne m'y risquerais pas !
E. D. - Que pensez-vous du président Obama, que vous avez rencontré pour la première …