Entretien avec
Magdi cristiano Allam
par
Alexandre Del Valle, essayiste et éditorialiste
n° 125 - Automne 2009
Alexandre del Valle - Vous appartenez au « club » des personnalités les plus menacées par les islamistes, au même titre que Taslima Nasreen ou Salman Rushdie. En quoi votre combat se distingue-t-il du leur ? Magdi Cristiano Allam - Mon combat est celui du salut de la civilisation européenne sur la base de la reconnaissance des racines judéo-chrétiennes de l'Occident. Les combats de Rushdie ou de Nasreen, eux, se situent sur un plan différent. Je n'ai rien contre eux, mais j'ai fait un choix de vie particulier et je me place aux côtés de ceux qui ont fait le même choix. J'ai vécu 56 ans en musulman modéré, libéral, laïque, défendant un islam respectueux des droits de l'homme. Mais mes prises de position m'ont valu d'être condamné à mort. À présent, je me considère comme pleinement chrétien et j'en suis fier. Depuis mon baptême par Benoît XVI, je ne veux plus être appelé « ex-musulman ». A. d. V. - Qu'est-ce qui a provoqué la première fatwa édictée contre vous ? M. C. A. - Ma première condamnation à mort fut décrétée par le Hamas, en réaction aux critiques que j'avais émises à l'égard des attentats suicides palestiniens qui tuaient des civils israéliens. C'était en 2003. Je me trouvais alors en reportage entre le Koweït et l'Irak du Sud, où je suivais la phase initiale de l'intervention américaine contre le régime de Saddam Hussein. Je reçus une communication du chef des services secrets italiens me conseillant de retourner en Italie car ma vie était en danger. Un avion m'emmena le lendemain. A. d. V. - Quelles sont les autres organisations qui vous ont officiellement condamné à mort ? M. C. A. - D'autres menaces de mort, plus subtiles, m'ont visé en Europe. Des membres de l'UCOII (1) appartenant également aux Frères musulmans ont déclaré que j'étais « hypocrite » et m'ont qualifié de « musulman déguisé » ou encore de « copte se faisant passer pour musulman ». Youssef Al Qardaoui (2) - l'un des leaders mondiaux des Frères musulmans, un homme qui encourage les attentats kamikazes en Irak et qui prêche sa vision salafiste sur la chaîne Al-Jazira - a dit : « Magdi Allam est un faux musulman » qui « sème la zizanie en islam » (ce qui équivaut à une condamnation à mort car l'apostasie, en islam, est punie de mort). J'ai d'ailleurs écrit en 2005 une « Lettre ouverte à Tarik Ramadan » car ce dernier avait propagé la rumeur selon laquelle j'aurais été, dès la naissance, un chrétien copte et un « faux musulman ». Il a été forcé de s'excuser dans une revue musulmane paraissant en Grande-Bretagne. A. d. V. - Avez-vous déjà été attaqué physiquement en Europe ? Faites-vous confiance à l'État italien pour vous protéger ? M. C. A. - Je bénéficie d'une protection permanente (sept à neuf gardes du corps). Depuis que je suis eurodéputé, je dispose également d'une protection française à Strasbourg (5 hommes) et belge à Bruxelles. Quand je participe à une rencontre publique, le nombre de gardes du corps double. Il n'est donc pas surprenant que, jusqu'à présent, il n'y ait pas eu d'attaques graves contre moi. Ce qui n'empêche pas des tentatives d'agressions régulières, heureusement déjouées ou mineures. Je suis la personnalité la plus protégée d'Italie après Silvio Berlusconi ! J'en remercie l'État italien et, en particulier, les carabiniers, qui me défendent depuis six ans et représentent un facteur de dissuasion de poids ! A. d. V. - Qu'en est-il de la Belgique, où des groupes islamistes, sunnites comme chiites (Ligue arabe européenne, Hezbollah, Hamas et Al-Qaïda), disposent de militants aguerris ? M. C. A. - Je suis reconnaissant envers les autorités belges pour la protection qu'elles m'offrent. Mais il est vrai que la pénétration islamiste en Belgique est préoccupante. Je ferai tout pour que les Européens puissent s'en libérer. J'ai été impressionné par un juif belge qui m'a récemment confié qu'il faisait accompagner ses enfants à l'école par un garde du corps... Savez-vous qu'à Bruxelles la police ne pénètre plus dans certains quartiers ? Ce n'est pas acceptable. A. d. V. - Est-il difficile de mener une vie normale dans de telles conditions ? M. C. A. - J'ai 57 ans ! Je n'ai plus besoin de sortir de chez moi pour chercher une fiancée ; je ne vais pas au cinéma ; et je ne fais pas de shopping. Tant que j'ai la possibilité de rencontrer des gens, je suis heureux. Ma liberté est intérieure ! Et je compte bien continuer de faire entendre ma voix au Parlement européen. Les menaces qui me visent ne font que renforcer ma conviction : la cause que je défends est juste. Je n'en fais pas une question personnelle. Si ma liberté est en danger, c'est celle de tous qui l'est. Je cite souvent Martin Niemöller, un pasteur luthérien rescapé des camps nazis (3), qui disait que si l'on reste muet devant la violation de la liberté d'une seule personne, alors, tôt ou tard, c'est la liberté de tous qui sera compromise. Je suis aujourd'hui la cible du terrorisme mais, après moi, il y en aura d'autres. A. d. V. - Qu'est-ce qui a motivé votre démission du Corriere della Sera et votre engagement en politique ? M. C. A. - J'ai fait du journalisme pendant trente ans. J'ai été vice-directeur du Corriere della Sera pendant six ans et, auparavant, j'étais envoyé spécial et éditorialiste à la Repubblica. J'ai exercé ce métier avec passion, au nom d'une conception éthique du journalisme, en recherchant toujours la vérité. Avec mon baptême chrétien (en mars 2008), j'ai éprouvé la nécessité de traduire ce témoignage en une action politique concrète portant les valeurs auxquelles je crois. Pour moi, la politique est un choix de vie visant à promouvoir une réforme éthique du développement économique et de la cohabitation sociale. La politique, à mes yeux, consiste à placer au centre des préoccupations de tous la dignité de la personne et la poursuite …
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