Entretien avec
Moussa dadis Camara
par
Pascal Drouhaud, spécialiste de l'Amérique latine
n° 125 - Automne 2009
Pascal Drouhaud - Monsieur le Président, quelles sont vos racines ? Moussa Dadis Camara - Je viens d'une famille originaire de la région de Nzérékoré ; du village de Kouré pour être plus précis. C'est mon grand-père qui l'avait fondé. À l'époque, dans les années 1930-1940, il y avait encore des rois de village. Les enfants d'un roi veillaient sur lui ; c'est ce qu'a fait mon père. Il n'est pas allé à l'école. C'était un homme rigoureux, honnête et très généreux, dont l'exemple continue de m'inspirer aujourd'hui. Quand mon grand-père est mort, les blancs sont arrivés. Comme il était jeune et en bonne forme, mon père s'est alors engagé dans la marine. Il s'est battu chez vous, en France, au sein des forces françaises libres. À son retour, il est rentré au village ; mais il n'était plus le même homme ; il avait voyagé. Bien qu'il fût sans éducation, il avait pu connaître d'autres cultures, visiter d'autres continents. Il a été l'un des membres fondateurs du PDG, le parti démocratique de Guinée. C'était l'époque des combats politiques avec Sékou Touré, dans les années 1950. Après l'indépendance (4), les ministres, les secrétaires d'État, les gouverneurs venaient souvent rendre visite à mon père. Vous savez, je suis né dans une case. Et pourtant, je n'étais pas impressionné par les belles villas des dignitaires du régime dont je fréquentais les enfants quand je venais à Conakry. Les jeunes que j'ai connus à cette époque - les Moussa Diakité, Kira Kéré, Mamadou Siagnio - m'ont permis de vivre une forme de brassage social. Certains sont même devenus membres de mon gouvernement ! Comme quoi les amitiés d'enfance survivent au passage des ans. Pa. D. - Il est vrai que les épreuves se sont chargées de resserrer ces liens... M. D. C. - C'est exact. En 1970, les pères de mes amis ont été arrêtés. Sékou Touré a prétendu qu'ils faisaient partie de la cinquième colonne (5), un terme qu'utilisait le régime pour dénoncer un complot interne. La plupart ont été incarcérés dans le sinistre Camp Boiro Mamadou où ils ont été liquidés par la suite. Mon propre père a été emprisonné. Mais sa chance a été de ne pas avoir eu de diplôme. Sékou Touré aurait dit, en parlant de lui, qu'un analphabète ne pouvait pas comploter contre le régime ! Il ne pouvait pas croire que mon père, du fond de son village dans la forêt de Nzérékoré, ait pu participer à la création du PDG. Finalement, il a été libéré. Je me dis que s'il avait fait des études, il aurait sans doute été tué comme les autres. Après mon accession au pouvoir (6), j'ai demandé pardon au peuple guinéen pour tous ces crimes. Pa. D. - Comment avez-vous vécu la disparition de Sékou Touré (7) ? M. D. C. - La mort de Sékou Touré, en 1984, a été un choc pour tous les Guinéens. J'avais vingt ans à l'époque. Je faisais des études de sciences économiques et finances. Qui allait lui succéder ? Voilà la question qui taraudait les jeunes. Un comité militaire de redressement national avait été mis en place. Très vite, les colonels Diarra et Lansana Conté ont émergé. Nous ne les connaissions pas. Conté, qui avait l'appui de l'armée, a pris le pouvoir quelques semaines après la disparition de Sékou Touré. Il fallait éviter à tout prix une lutte fratricide. Pa. D. - La Guinée se trouvait alors dans le camp socialiste. Qu'est-ce que cette étiquette représentait à vos yeux ? M. D. C. - Aucun régime n'est parfait et aucun homme non plus. Quand Lansana Conté a fondé la iie République et commencé à prôner une forme de libéralisme, nous avons compris que le pays allait s'ouvrir. Jusqu'alors, nous vivions dans la révolution, avec ses avantages et ses inconvénients. Au début, la révolution était belle. C'était elle qui nous avait permis, nous les enfants déshérités, de fréquenter gratuitement les bancs de l'école. Vous imaginez ce que cela signifiait ? Nous avions accès à la même école que les enfants des ministres ! L'école primaire, le collège, le lycée, l'université... Et en plus, nous étions logés ! Cette révolution a consumé beaucoup de ses membres, mais elle a aussi offert l'éducation gratuite. C'est l'un de ses aspects positifs. La culture et le sentiment de cohésion sociale avaient du sens. Pa. D. - Pourquoi vous êtes-vous engagé dans l'armée ? M. D. C. - Par un concours de circonstances. Certains diront que c'est le destin. Au départ, je voulais m'orienter vers une autre voie. Je cherchais à rentrer soit dans la fonction publique, soit dans le secteur bancaire. Je venais même de passer un concours pour travailler à la Société générale des banques et à la BCI ! Sur ces entrefaites, le libéralisme débarque dans notre pays. Le gouvernement a proposé aux universitaires d'intégrer l'armée. Je devais faire un choix. J'ai alors décidé, comme d'autres étudiants, d'entrer dans l'armée en tant que soldat deuxième classe ! C'était en 1990. Et, là encore, le sort s'acharne : je suis désigné, en 1994, pour aller suivre une formation en Allemagne où je vais rester quatre ans. J'y ai d'ailleurs appris à parler la langue. J'ai observé avec un grand intérêt ce pays qui se construisait dans une nouvelle unité. Lorsque je suis rentré en Guinée à la fin des années 1990, j'ai été versé dans l'armée de terre, parachutiste commando. Après diverses affectations, j'ai été nommé responsable de l'approvisionnement de l'armée, en carburants, en nourriture, en équipements vestimentaires. C'est moi qui ai pris soin de la troupe pendant les années 2000 - des années difficiles. Les hommes savent que je suis juste dans ce que j'entreprends et honnête. En Guinée, la troupe n'accepte pas qu'un des siens accède au pouvoir s'il est malhonnête. Pa. D. - De quelle religion êtes-vous ? M. D. C. - Je suis catholique. C'est un aspect important de ma vie. Sur mon bureau, se trouve la Bible mais également le Coran, car mon …
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