PRODUCTEURS / CONSOMMATEURS : LES CLES D'UNE RELATION GAGNANT-GAGNANT
PRODUCTEURS / CONSOMMATEURS : LES CLES D'UNE RELATION GAGNANT-GAGNANT
Entretien avec
Christophe de Margerie
par
la Rédaction de Politique Internationale
n° 125 - Automne 2009
Politique Internationale - Qu'est-ce qui, selon vous, caractérise une politique équilibrée de développement économique d'un pays pétrolier ? Christophe de Margerie - Avant de vous répondre, je voudrais éclaircir un point. Le préalable à toute réflexion de ce type est de savoir à quelle catégorie de pays producteurs on a affaire. Pour ma part, j'en vois trois : les pays qui peuvent produire beaucoup et sont relativement peu peuplés, comme les pays du Golfe ; les pays où le pétrole ne représente qu'une petite partie du budget de l'État - l'Indonésie, par exemple ; et, enfin, les pays comme l'Angola, qui sortent d'une longue période de guerre et pour lesquels le pétrole est le moyen de se développer. Je cite l'Angola, mais, comme tout le monde, je pense aussi à l'Irak. La manière dont on conduit une politique de développement équilibrée dépend donc de la catégorie à laquelle on se rattache. Un pays qui sort d'un conflit souvent long et meurtrier doit pouvoir produire au maximum. L'essentiel est que cela se fasse selon des règles de bonne gouvernance car les ressources pétrolières doivent servir à l'essor de l'économie et non à une minorité. Les choses s'améliorent dans ce domaine, même s'il reste encore beaucoup à faire. J'ai cité l'Indonésie comme exemple d'un pays où la production pétrolière ne représente qu'une partie des revenus. Je pourrais aussi parler de la Grande-Bretagne, pays pétrolier, certes, mais qui, comme l'Indonésie, n'est plus autosuffisant. Tous deux cherchent à produire au maximum, l'un en optimisant sa technologie, l'autre en investissant massivement dans l'exploration. Ils augmentent aussi leurs taxes, ce qui est normal quand les prix augmentent. D'ailleurs, quand on nous dit « vous acceptez de payer des impôts supplémentaires en Grande-Bretagne et pas en France », il est bon de rappeler qu'il s'agit de taxes sur la production et non sur la consommation. Ce n'est pas la même chose. Pour ceux qui ont de très gros revenus, comme l'Arabie saoudite ou, de manière plus générale, les États du Golfe, mener une politique équilibrée, c'est trouver la manière la plus sage possible de gérer une richesse fabuleuse dont ils n'ont pas forcément besoin tout de suite. Ils peuvent donc légitimement se demander s'ils n'auraient pas intérêt à conserver cette ressource pour les générations futures en produisant seulement ce qui est nécessaire. C'est une réaction normale. C'est, du reste, ce que fait la Norvège d'une autre manière avec son fonds de stabilisation. Voilà une idée vraiment admirable. Mais pourquoi ce comportement est-il bien accueilli lorsqu'il s'agit de la Norvège et décrié quand c'est un pays du Moyen-Orient ? Ces pays gardent des réserves pour le futur, mais ils produisent quand même plus que ce dont ils ont besoin. Ils placent ainsi une partie de leurs revenus dans des sociétés internationales, comme... Total ! Ces échanges participent à l'équilibre du monde ; c'est ce qui s'appelle une relation gagnant-gagnant. P. I. - Pensez-vous que la mondialisation a changé la donne dans ce domaine ? C. M. - Je le crois. Nous vivons désormais dans un système commun : pays développés, pays émergents, pays producteurs... Plus personne ne peut vivre en autarcie. Les pays riches ne sont pas seuls à souffrir de la crise. Il faut se demander si les pays producteurs se considèrent comme faisant partie d'un ensemble ou bien s'ils sont seulement intéressés par eux-mêmes. D'un côté comme de l'autre, l'important est que l'échange soit réciproque, qu'il y ait un véritable partage. Il est indispensable de trouver une relation qui fasse que ces pays - qui ont autant besoin de notre argent que nous de leur production pétrolière - participent à un équilibre global. Certes, ils voient bien l'intérêt qu'ils ont à investir dans nos économies, mais c'est à nous, Occidentaux, de leur donner des raisons de le faire. P. I. - Quelles sont ces raisons ? Comment les motiver ? C. M. - Il est trop simple d'opposer pays producteurs et pays consommateurs... et de placer les compagnies pétrolières au milieu ! Le plus important à mes yeux a trait au comportement : écouter et respecter l'autre est essentiel. Il faut, par exemple, éviter l'arrogance qui consisterait à demander aux pays pétroliers de produire davantage, tout en leur refusant d'investir dans les pays occidentaux. De plus, les pays producteurs ont leurs propres problèmes ; on ne peut pas le nier et les considérer seulement comme s'ils étaient notre réservoir d'hydrocarbures. Cette époque est révolue. Je pense à l'Iran, un grand pays par la taille et le nombre d'habitants, bien sûr, mais aussi par sa culture et son histoire qu'il ne faut pas oublier. Parvenir à établir une relation gagnant-gagnant entre pays producteurs et consommateurs nous concerne directement puisque nous avons besoin de leur production. S'il n'y avait pas de problèmes en Iran, en Irak, au Venezuela, au Nigeria et ailleurs, nous pourrions produire davantage et moins cher. Les compagnies pétrolières ne sont pas responsables de tous les maux de la planète, alors même que les politiques prennent des décisions qui ont des répercussions considérables dans ces domaines. Ainsi, utiliser l'Ukraine contre la Russie en demandant qu'elle bénéficie d'un tarif « soviétique » est typiquement de la mauvaise politique. Dans ce cas précis, la réaction de l'Europe n'a pas été bien réfléchie, surtout lorsque, dans le même temps, on s'étonne qu'il y ait des répercussions sur l'approvisionnement gazier. Soit nous sommes très naïfs, soit nous pensons, une fois de plus, que nous avons raison, parce que nous sommes les seuls représentants du droit et de la liberté ! Or, il est impossible de demander aux pays qui ont derrière eux 200 ans de démocratie et à ceux qui la découvrent - ou ne l'ont pas encore - d'agir de la même façon. Il y a souvent eu de terribles retours de bâton quand on a voulu, en quelque sorte, accélérer l'Histoire. Nous oublions que nous avons connu des guerres civiles, des guerres de religion et que, pour nous aussi, le chemin vers la démocratie a été long. …
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