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ARMEE RUSSE : LE TEMPS DE LA REFORME

Galia Ackerman - Guerre russo-géorgienne en août 2008 ; proclamation de l'indépendance de l'Ossétie du Nord et de l'Abkhazie ; instabilité constante en Tchétchénie, mais aussi en Ingouchie ou au Daghestan... Le Caucase du Nord apparaît comme une zone plus explosive que jamais. En tant qu'expert militaire, quel regard portez-vous sur la situation actuelle dans cette véritable poudrière ?
Pavel Felgengauer - Pour comprendre à quel point le Caucase du Nord est une région stratégique, il suffit de regarder la carte : il est bordé d'un côté par la mer Caspienne, si riche en hydrocarbures, et de l'autre par la mer Noire, qui s'ouvre sur la Turquie et les pays de l'Union européenne. Par surcroît, il est frontalier de la Géorgie, à laquelle la Russie vient de livrer une guerre ; et la Crimée, cette région ukrainienne sur laquelle le Kremlin a des vues, n'est pas loin.
Ce n'est pas tout : à l'intérieur même du Caucase du Nord, des combats sont menés en permanence. Il ne s'agit pas encore de conflits de haute intensité ; mais l'armée russe y conduit sans relâche des opérations visant les maquis locaux (1).
C'est pourquoi Moscou a récemment institué, dans cette région, un commandement opérationnel - une instance à laquelle ont été subordonnées la flotte de la mer Noire et celle de la Caspienne. C'est un véritable groupe de choc qui est en train d'être mis en place. Il n'y a là rien d'étonnant : l'essentiel des efforts militaires russes est pointé en direction du sud.
G. A. - L'été dernier, la Russie a effectué d'impressionnantes manoeuvres militaires dans cette zone...
P. F. - De telles manoeuvres ont lieu chaque année, mais les dernières en date répondaient à un but spécifique : il s'agissait d'appliquer les résultats déjà obtenus de la réforme militaire en cours. La grande nouveauté, c'est que des « brigades lourdes d'intervention rapide » nouvellement créées ont pris part à ces exercices. On a également essayé de mettre en oeuvre, pour la première fois, un système moderne de commandment control : des informations étaient envoyées à l'état-major depuis les « champs de bataille » ; elles arrivaient directement sur les écrans du commandement, ce qui permettait à celui-ci de donner immédiatement des ordres que les troupes sur le terrain étaient censées recevoir en temps réel. Comme il s'agit d'un nouveau système de haute technologie, c'est le chef d'état-major en personne, le général Makarov, qui a dirigé ces manoeuvres, ce qui est fort inhabituel.
Le problème, c'est que, selon certaines publications militaires, ce nouveau système n'a pas été performant. Le « pipeline de l'information », qui est l'un des objectifs de la réforme, n'est pas encore prêt à l'emploi. Un mot sur cette formule : en Occident, on appelle ce système « autoroute de l'information » ; mais, chez nous, les routes sont mauvaises ; d'où notre préférence nationale pour les pipelines !
Pour résumer, l'armée russe veut instaurer un système d'information unifié, comme chez les Américains, par exemple ; mais …