Les Grands de ce monde s'expriment dans

LA « DAME DE FER » DE VILNIUS

Si elle n'est pas frappée aussi durement par la crise économique que la Lettonie voisine, la Lituanie n'en traverse pas moins, elle aussi, une période difficile. C'est dans ce contexte que les électeurs ont quasiment plébiscité Dalia Grybauskaite, 53 ans, dès le premier tour de l'élection présidentielle, le 17 mai 2009. Il s'agissait d'élire un successeur à Valdas Adamkus, qui achevait son second mandat à l'âge de 82 ans. Aucun candidat de poids n'avait osé se mesurer, tant elle partait favorite, à celle qui était encore, au moment du scrutin, commissaire européenne au budget et à la programmation financière. Avec un score de 68 % des suffrages exprimés, elle est donc arrivée au pouvoir auréolée d'une réelle légitimité et d'une image favorable.Les Lituaniens ont voulu porter à la présidence une personnalité extérieure au marigot politique local, dont ils sont las. Les cinq années que Mme Grybauskaite venait de passer à Bruxelles - à un poste relativement discret, certes, mais exigeant compétence et doigté - lui ont conféré la distance souhaitée. Économiste de formation, elle avait déjà convaincu lors de son passage au ministère des Finances (2001-2004). À l'époque, il est vrai, la république balte connaissait une période de forte expansion économique et les dossiers étaient moins compliqués qu'aujourd'hui. Il fallait néanmoins persuader l'Union européenne de la solidité financière de ce pays de 3,4 millions d'habitants pour qu'elle accepte de l'accueillir en son sein. Ce qui fut fait en mai 2004, un mois après son adhésion à l'Otan.
Cinq ans plus tard, le contexte est tout à fait différent. Les taux de croissance musclés (allant jusqu'à 7,5 % en 2006), résultats logiques d'un rattrapage économique soutenu, ont laissé place à des taux de décroissance spectaculaires. Ainsi, selon la Commission européenne, le PIB lituanien devait-il chuter de 18,1 % en 2009. Répétons-le : la situation est moins préoccupante qu'en Lettonie, où il a fallu faire appel au Fonds monétaire international pour éviter le pire ; mais elle contribue à façonner l'action de Mme Grybauskaite qui se doit d'être très présente sur la scène intérieure - même si la Constitution réduit ses prérogatives dans ce domaine qui est, pour l'essentiel, celui du premier ministre.
Jusqu'à présent, le volontarisme de Mme Grybauskaite et ses interventions sur divers sujets de société n'ont pas nui à sa popularité, ni à la bonne marche des affaires gouvernementales. Le premier ministre, Andrius Kubilius, dirige le Parti conservateur, qui avait apporté son soutien officiel à Mme Grybauskaite durant la campagne électorale. Celle-ci, qui a été ministre des Finances dans un gouvernement dominé par les sociaux-démocrates, se veut sans étiquette politique. Mais son attachement à l'économie de marché et sa volonté de déréguler certains secteurs économiques la situent clairement dans le camp libéral. Elle partage également avec les conservateurs une méfiance viscérale à l'égard de Moscou. Cependant, la présidente - diplômée de l'Université d'État de Leningrad, comme Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev - se veut plus pragmatique vis-à-vis de la Russie que M. Adamkus, qui avait fait quasiment toute sa carrière aux États-Unis. Mais « pragmatisme » ne saurait signifier « tergiversation » pour cette femme énergique et directe, dont les réponses sont parfois abruptes. En quelques mois, Mme Grybauskaite, que l'on surnomme la « Dame de fer balte » (elle a été ceinture noire de karaté), a d'ores et déjà imposé son style et sa politique...
A. J. Antoine Jacob - Madame la présidente, vous êtes entrée en fonctions il y a quelques mois. En matière de politique étrangère, dans quels domaines souhaitez-vous faire la différence par rapport à vos prédécesseurs ?
Dalia Grybauskaite - Chaque président conduit une politique étrangère différente. Personnellement, je souhaite faire en sorte que la Lituanie ait des relations équilibrées aussi bien avec ses voisins orientaux (la Russie et la Biélorussie) qu'avec les autres États membres de l'Union européenne. J'aspire, tout particulièrement, à renforcer nos liens avec les pays d'Europe de l'Ouest - des liens dans lesquels la Lituanie n'a guère investi au cours des cinq dernières années.
A. J. - Pourquoi un tel manque d'intérêt, d'après vous ? Le moment n'était-il pas venu pour votre pays, après son adhésion à l'UE en mai 2004, de renforcer ses liens avec les autres États qui la composent ?
D. G. - Je ne veux pas juger le passé, je préfère regarder droit devant moi.
A. J. - Pourquoi est-il important, à vos yeux, de se rapprocher de l'Europe de l'Ouest et d'être plus en phase avec ce qui se passe à Bruxelles ?
D. G. - Nous savons qu'un grand nombre de décisions qui seront prises par l'UE dans un futur proche auront un impact direct sur notre économie et sur notre vie politique pour des décennies. La Lituanie ne doit donc pas négliger le processus de décision en place à Bruxelles. Au contraire, elle doit y participer activement. C'est d'autant plus nécessaire que le traité de Lisbonne nous incite à avoir une politique étrangère coordonnée. Plus l'Europe parlera d'une seule voix, plus elle aura de l'influence.
A. J. - Un Belge et une Britannique sont devenus, respectivement, président du Conseil européen et chef de la diplomatie de l'UE. Pensez-vous qu'au moins l'un de ces postes nouvellement créés aurait dû être attribué à un représentant de l'un des nouveaux États membres de l'UE ?
D. G. - Je ne fais plus de distinction entre anciens et nouveaux États membres. Ce dont nous avons besoin, ce sont des personnalités capables, pouvant travailler, chacune dans son domaine, de la manière la plus efficace. La personnalité prime sur tout - le pays, le sexe, l'âge, etc. Et ce principe devrait valoir pour toute nomination.
A. J. - Comment qualifieriez-vous l'état actuel des relations entre la Lituanie et la Russie ?
D. G. - Au cours de ces dernières années, nos relations ont été assez limitées et distantes. Désormais, après huit ans de silence entre les dirigeants des deux pays, le contact a été renoué. Nous avons eu des conversations téléphoniques visant à résoudre des problèmes économiques. J'ai également eu la possibilité de rencontrer le président Dmitri Medvedev à Berlin (1). Il y a donc la volonté, de part et d'autre, d'améliorer les relations bilatérales. Mais cette amélioration doit se faire sans coup de pouce artificiel. Nous voudrions que ces relations se développent naturellement.
A. J. - Attendez-vous de la Russie qu'elle fasse un geste pour signifier sa …