Jean-Pierre Robin - La France a plutôt mieux résisté que les autre pays industrialisés au choc de la récession mondiale. Comment l'expliquez-vous et quelles leçons en tirez-vous ?
Henri Guaino - Ne croyez-vous pas que si les résultats sont meilleurs qu'ailleurs c'est peut-être parce que la gestion de la crise a été bien conduite et parce que aucune erreur grave de politique économique n'a été commise ? Ce que l'on appelle le « modèle français » a aussi joué un rôle d'amortisseur d'autant plus important que les impôts n'ont pas été relevés pour compenser les pertes de recettes. Contrairement au Royaume-Uni où les ménages ont été incités pendant des années à s'endetter fortement à la place de l'État, en France, c'est l'État qui s'est endetté à la place des ménages. Ce n'était pas une situation très saine, mais le fait est que ce système où l'État était très endetté et les ménages très peu endettés a mieux résisté que celui où les ménages étaient surendettés. Lorsque la crise est survenue, toutes les difficultés des ménages anglais se sont pour ainsi dire retrouvées brutalement dans les comptes publics et, en quelques mois la dette publique anglaise a rattrapé la dette publique française.
La leçon, c'est qu'en fin de compte on ne peut pas durablement gérer les finances publiques indépendamment de l'économie et de la société. On ne peut pas bâtir l'amélioration des comptes publics sur la détérioration des comptes des ménages et des entreprises, pas plus que l'on ne peut bâtir durablement la compétitivité de l'économie sur la régression sociale, ni le progrès social sur la ruine des entreprises.
J.-P. R. - Une dette publique élevée et un endettement privé relativement faible : en quoi ce choix est-il révélateur ?
H. G. - Il ne faut pas confondre les comptes publics avec les comptes de la Nation. Quand on agrège les comptes publics - ceux des ménages et ceux des entreprises -, on s'aperçoit qu'en 2008 la France était un pays globalement créancier vis-à-vis du reste du monde (si l'on fait abstraction des encaisses et des dépôts à vue). Le solde consolidé des comptes publics et des comptes privés est positif. Ce qui signifie que nous nous empruntons à nous-mêmes. Nous ne dépendons pas des autres pour boucler nos fins de mois.
Au fond, tous les vieux pays développés font face aux mêmes défis, mais les réponses que chacun y apporte dépendent de son contrat social, de son histoire, de sa culture, de sa démographie... L'Angleterre, comme le dit l'économiste Patrick Artus, a choisi une stratégie de « hedge funds » ; l'Allemagne a misé sur l'industrie des biens d'équipement ; certains pays privilégient les exportations, d'autres la demande interne ; certains choisissent la flexibilité, d'autres la cohésion. Peut-on conclure à la supériorité définitive d'un modèle sur un autre ? Ce n'est pas évident. En fait, chaque modèle se trouve plus ou moins bien adapté aux circonstances.
Ainsi notre modèle social, qui a été fondé au moment des « Trente Glorieuses …
Henri Guaino - Ne croyez-vous pas que si les résultats sont meilleurs qu'ailleurs c'est peut-être parce que la gestion de la crise a été bien conduite et parce que aucune erreur grave de politique économique n'a été commise ? Ce que l'on appelle le « modèle français » a aussi joué un rôle d'amortisseur d'autant plus important que les impôts n'ont pas été relevés pour compenser les pertes de recettes. Contrairement au Royaume-Uni où les ménages ont été incités pendant des années à s'endetter fortement à la place de l'État, en France, c'est l'État qui s'est endetté à la place des ménages. Ce n'était pas une situation très saine, mais le fait est que ce système où l'État était très endetté et les ménages très peu endettés a mieux résisté que celui où les ménages étaient surendettés. Lorsque la crise est survenue, toutes les difficultés des ménages anglais se sont pour ainsi dire retrouvées brutalement dans les comptes publics et, en quelques mois la dette publique anglaise a rattrapé la dette publique française.
La leçon, c'est qu'en fin de compte on ne peut pas durablement gérer les finances publiques indépendamment de l'économie et de la société. On ne peut pas bâtir l'amélioration des comptes publics sur la détérioration des comptes des ménages et des entreprises, pas plus que l'on ne peut bâtir durablement la compétitivité de l'économie sur la régression sociale, ni le progrès social sur la ruine des entreprises.
J.-P. R. - Une dette publique élevée et un endettement privé relativement faible : en quoi ce choix est-il révélateur ?
H. G. - Il ne faut pas confondre les comptes publics avec les comptes de la Nation. Quand on agrège les comptes publics - ceux des ménages et ceux des entreprises -, on s'aperçoit qu'en 2008 la France était un pays globalement créancier vis-à-vis du reste du monde (si l'on fait abstraction des encaisses et des dépôts à vue). Le solde consolidé des comptes publics et des comptes privés est positif. Ce qui signifie que nous nous empruntons à nous-mêmes. Nous ne dépendons pas des autres pour boucler nos fins de mois.
Au fond, tous les vieux pays développés font face aux mêmes défis, mais les réponses que chacun y apporte dépendent de son contrat social, de son histoire, de sa culture, de sa démographie... L'Angleterre, comme le dit l'économiste Patrick Artus, a choisi une stratégie de « hedge funds » ; l'Allemagne a misé sur l'industrie des biens d'équipement ; certains pays privilégient les exportations, d'autres la demande interne ; certains choisissent la flexibilité, d'autres la cohésion. Peut-on conclure à la supériorité définitive d'un modèle sur un autre ? Ce n'est pas évident. En fait, chaque modèle se trouve plus ou moins bien adapté aux circonstances.
Ainsi notre modèle social, qui a été fondé au moment des « Trente Glorieuses …
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