Les Grands de ce monde s'expriment dans

LE TIBET SURVIVRA-T-IL ?

Dans le monde interconnecté du XXIe siècle, il y a longtemps que la question tibétaine ne relève plus uniquement des « affaires intérieures » de la Chine, mais s'inscrit dans un mouvement plus vaste d'aspiration à la démocratie. Comment répondre à la demande d'autonomie et de liberté du peuple tibétain ; et comment aider une Chine économiquement développée et politiquement arriérée à s'engager dans la voie de la démocratie : aux yeux du Dalaï-Lama, ces deux questions sont intimement liées. Un dialogue entre représentants du Dalaï-Lama et autorités chinoises s'est engagé en Chine à partir de 2002. Huit rencontres officielles ont eu lieu sur le territoire chinois, mais, pour l'heure, les pommes de discorde restent nombreuses. Le Tibet historique comprend, outre la région autonome du Tibet, les territoires peuplés de Tibétains dans les provinces du nord-ouest de la Chine : Qinghai, Gansu, Sichuan (1) et Yunnan. Afin de sauvegarder la culture tibétaine dans son ensemble, le gouvernement tibétain en exil a demandé au gouvernement chinois de procéder à un redécoupage territorial qui permette d'inclure dans la région « autonome » du Tibet (qui n'a d'autonome que son nom officiel !) toutes les régions habitées par les Tibétains. Cette suggestion a provoqué une réaction virulente de la part du gouvernement chinois pour lequel cette tentative de reconstitution d'un « Grand Tibet » n'est qu'une revendication d'indépendance voilée. Le malaise est d'autant plus profond que, malgré les réformes démocratiques introduites en 2001 par le quatorzième Dalaï-Lama et la mise en place d'un pouvoir exécutif désormais dirigé par un chef de gouvernement élu au suffrage universel (2), les médias officiels chinois continuent de voir dans le gouvernement tibétain en exil un régime théocratique. Il est pourtant certain que, résidant en Inde, le gouvernement tibétain en exil n'a été reconnu par aucune instance internationale et n'a guère que le pouvoir d'organiser la vie des quelques centaines de milliers de Tibétains éparpillés à travers le monde, tout en se projetant dans un avenir hypothétique. Le jour où l'armée chinoise quittera les terres tibétaines n'est, en effet, aucunement prévisible...
Nos lecteurs apprécieront cet entretien exceptionnel réalisé à Dharamsala et accordé à Radio France Internationale (émission en chinois) ainsi qu'à notre revue. Cet entretien, mené en tibétain et en chinois, a permis au Dalaï-Lama de s'adresser directement, pour la première fois, à un auditoire de Chine populaire et de briser ainsi le mur de la propagande que les dirigeants de Pékin s'emploient à ériger entre lui et la population chinoise.
C. Y. Chen Yan - La Chine vient de fêter le soixantième anniversaire de la naissance de la République populaire. Cette année 2009 a également marqué le cinquantième anniversaire de votre départ de Lhassa et de celui de milliers de Tibétains vers l'exil. Quel regard portez-vous sur ces dernières décennies ?
Sa Sainteté le Dalaï-Lama - La Chine d'aujourd'hui est fondamentalement différente de la Chine d'il y a trente ou quarante ans. Le tournant se situe en 1978, avec le retour de Deng Xiaoping au pouvoir et le lancement de la politique de réforme. Incontestablement, le développement économique a permis d'améliorer les conditions de vie des Chinois. Ils sont de plus en plus nombreux à voyager, et de plus en plus d'étudiants chinois font des études à l'étranger. Grâce à ces échanges, la Chine devient de plus en plus perméable aux valeurs démocratiques de l'Occident.
C. Y. - 2009, c'est aussi le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, qui a sonné le glas du système communiste en Europe. Comment envisagez-vous la sortie du communisme en Chine ?
D.-L. - Un effondrement brutal du régime, à l'image de ce qu'a connu l'Union soviétique, serait problématique non seulement pour la Chine mais aussi pour les pays voisins. La meilleure solution serait, pour le Parti communiste chinois, de mettre en place, de sa propre initiative, des réformes politiques graduelles. J'approuve entièrement le point de vue qu'a exprimé le vice-président Xi Jinping dans un long texte publié par le Quotidien du Peuple (3) : il insiste sur l'importance des comportements démocratiques au sein du Parti et appelle de ses voeux l'organisation d'élections directes au niveau des instances de base. Le président Hu Jintao a également mentionné à plusieurs reprises le mot démocratie dans son discours d'ouverture du XVIIe Congrès du Parti communiste chinois en octobre 2007. Mais la démocratie ne saurait se contenter de discours. Elle doit s'ancrer dans le concret. Je suis néanmoins confiant : les dirigeants savent que la démocratie est incontournable, et lorsqu'ils mesureront l'intérêt à long terme que la Chine peut en retirer, ils seront bien obligés de régler cette question.
C. Y. - Vous voulez dire que, sans la démocratie, la Chine ne deviendra jamais une véritable grande puissance ?
D.-L. - Absolument. La Chine est un grand pays qui est appelé à occuper une position importante sur la scène mondiale. Pour l'instant, elle en est loin car le reste du monde ne lui fait pas confiance. La raison ? Son manque de transparence. C'est parce que la Chine se dissimule que ses voisins et la communauté internationale la redoutent. Il n'y a ni liberté de la presse ni liberté de parole. Le gouvernement se réfugie constamment derrière le secret d'État. Ce mot avait peut-être un sens pendant la guerre civile, avant 1949, ou pendant la guerre de Corée, au début des années 1950 ; mais, en temps de paix, est-il nécessaire de tout bâillonner ? Cette censure des médias nuit à l'image de la Chine. N'importe qui, …