Les Grands de ce monde s'expriment dans

L'EUROPE VUE DE PRAGUE

Karel Schwarzenberg, de son nom complet prince Karl Johannes Nepomuk Josef Norbert Friedrich Antonius Wratislaw Mena zu Schwarzenberg, est le chef d'une des plus anciennes lignées aristocratiques du Saint Empire romain germanique, originaire de Franconie. En 1670, la famille s'établit en Bohême, où elle acquiert d'immenses domaines et fait construire plusieurs châteaux. Les Schwarzenberg fourniront au cours des siècles suivants plusieurs généraux, diplomates et prélats de haut rang à l'Empire austro-hongrois. Né le 10 décembre 1937 à Prague, Karel Schwarzenberg fut contraint à l'exil en 1948, lors de la prise de pouvoir par les communistes en Tchécoslovaquie.La famille partage alors sa vie entre l'Allemagne, la Suisse et l'Autriche, et Karel obtient la nationalité helvétique. Après des études à l'Université de Vienne, il se consacre à la gestion des biens familiaux, notamment du palais Schwarzenberg, résidence viennoise transformée en hôtel de luxe. Fervent défenseur des droits de l'homme dans les pays communistes, il s'engage activement - après la répression du Printemps de Prague par les chars soviétiques en août 1968 - dans le soutien aux dissidents tchécoslovaques.
En 1984, il devient, sur proposition du chancelier autrichien Bruno Kreisky, président de la Fédération internationale des comités Helsinki pour les droits de l'homme (dont le siège est à Vienne).
En 1990, il revient en Tchécoslovaquie à la demande du président nouvellement élu Vaclav Havel, dont il dirigera la chancellerie - une fonction équivalente à celle de secrétaire général de l'Élysée - jusqu'en 1992. En 2004, il est élu sénateur (apparenté Vert) et, en 2007, il entre comme ministre des Affaires étrangères au gouvernement de centre droit dirigé par Mirek Topolanek. Profondément pro-européen, Karel Schwarzenberg a dû subir, au premier semestre 2009, les attaques du très europhobe président de la république Vaclav Klaus qui n'a cessé d'entraver le bon déroulement de la présidence tchèque de l'Union. Après la chute du gouvernement Topolanek en mai 2009, Karel Schwarzenberg rejoint le nouveau parti Top 09 (fondé par l'ancien ministre des Finances démocrate-chrétien Miroslav Kalousek) et en devient le président. C'est sous les couleurs de cette formation qu'il se présentera aux élections législatives prévues pour mars 2010, avec pour objectif de retrouver son poste de chef de la diplomatie tchèque dans le cadre d'une coalition avec l'ODS (Parti démocrate civique, centre droit) de Mirek Topolanek.
L. R. Luc Rosenzweig - Vous êtes le descendant d'une illustre famille de l'aristocratie d'Europe centrale, apparentée à la plupart des dynasties régnantes du continent. Vous êtes, par ailleurs, un gestionnaire avisé des entreprises familiales et disposez d'une confortable fortune personnelle. Comment avez-vous été conduit à entrer en politique en 1990, alors que vous aviez déjà dépassé la cinquantaine ?
Karel Schwarzenberg - C'est la politique qui s'est occupée de moi depuis ma petite enfance ! Pendant la guerre, quand la Gestapo a perquisitionné la maison de mes parents à Prague ; après la guerre, lorsqu'en 1947 les communistes prirent pour cible la famille Schwarzenberg. Je me suis toujours intéressé à la politique, notamment depuis mon passage à l'université. J'ai fait mes premières armes auprès du président Havel lorsque celui-ci m'a sollicité pour diriger sa chancellerie. Je suis resté à ce poste quelques années, puis j'ai pris mes distances - un break de dix ans qui m'a permis de m'immerger dans un pays qu'en fait, en tant qu'émigré, je connaissais fort mal. Je suis revenu à la vie publique en 2004, d'abord comme sénateur, puis comme ministre des Affaires étrangères. En 2009, j'ai participé à la fondation de mon propre parti et je m'y consacre entièrement. Lorsque l'on est tombé une fois dans la politique active, c'est comme une drogue : il est très difficile de s'en passer !
L. R. - Lorsque vous étiez auprès de Vaclav Havel, vous avez assisté à la scission de la République tchèque et de la Slovaquie. Cette séparation, que Havel n'approuvait pas, était-elle inévitable ?
K. S. - Pas tout à fait... Pour ma part, j'aurais préféré que les choses se passent autrement. Mais on ne peut pas revenir en arrière et on doit se réjouir que cette séparation se soit effectuée sans effusion de sang, et même sans réelle bagarre sur le partage du patrimoine commun. Comme toujours, dans un événement de ce genre il y a du bon et du mauvais. Le principal avantage, c'est que les complexes des uns et des autres se sont envolés : complexe d'infériorité des Slovaques qui se sentaient dominés par le grand frère tchèque ; et complexe de supériorité des Tchèques qui s'aperçoivent que les Slovaques peuvent parfaitement réussir en économie sans leur aide ni leurs conseils. Aujourd'hui, les relations politiques entre Prague et Bratislava sont très bonnes, quels que soient les partis au pouvoir. Le côté négatif de la séparation, c'est que deux petits États sont plus faibles sur la scène européenne et internationale qu'une Tchécoslovaquie unie de 15 millions d'habitants...
L. R. - Votre ami Vaclav Havel fait figure d'exception dans l'histoire des pays postcommunistes. Bien peu nombreux sont, en effet, les dissidents qui se sont imposés à des postes politiques de premier plan. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
K. S. - C'est vrai, même si je salue l'élection de mon ami Jerzy Buzek, grand opposant polonais au communisme, à la présidence du Parlement européen. Il faut bien constater que ce ne sont pas les …