Les Grands de ce monde s'expriment dans

L'ITALIE ET LA REFORME PUBLIQUE

Yves Messarovitch - S'il fallait hiérarchiser les facteurs à l'origine de la crise financière mondiale, dans quel ordre les classeriez-vous ?
Franco Bassanini - Sous bénéfice d'inventaire (car je ne suis pas un économiste ou un expert en matière de finance internationale, mais un professeur de droit constitutionnel), je citerais d'abord la prédominance des logiques spéculatives à court terme. Celles-ci ont été favorisées par l'absence de règles applicables aux marchés financiers « non réglementés » ; par la configuration « pro-cyclique » de certaines règles valables pour les secteurs réglementés ; par l'indulgence dont ont fait preuve les autorités de surveillance aux États-Unis et en Europe - des autorités de surveillance qui étaient, en outre, trop fragmentées ; et par les systèmes de rémunération et d'incitation des top managers.
Je mentionnerais ensuite les déséquilibres globaux (global imbalances), créés à partir de l'endettement des ménages et du déficit de la balance commerciale américaine et des actifs commerciaux et financiers chinois. J'ajouterais les difficultés rencontrées dans la conclusion des traités et des accords internationaux comme le Round de Doha (en matière de commerce international) et les sommets de Tokyo et de Copenhague (en matière d'environnement), alors qu'ils auraient pu, dans une certaine mesure, contribuer à réduire les déséquilibres dans la compétition globale. Enfin, je pointerais du doigt le retard qu'a pris la modernisation des institutions politiques de l'Union européenne, ainsi que la réticence de la précédente administration américaine à favoriser la construction d'une gouvernance multilatérale de la finance globale. Je souligne, toutefois, que la ratification du Traité de Lisbonne et l'arrivée de l'administration Obama permettent d'espérer que l'on rattrapera une partie du temps perdu.
Y. M. - Pensez-vous qu'à la faveur de la crise que nous traversons les missions essentielles d'un établissement prêteur de long terme, comme la Cassa Depositi e Prestiti, aient été durablement réhabilitées aux yeux des purs libéraux ?
F. B. - Il faut d'abord comprendre ce qu'on entend par « purs libéraux ». En Italie, il y a encore des personnes qui pensent que le marché est capable de s'autoréguler et que le rôle de l'État et des institutions publiques devrait progressivement se réduire pour, finalement, disparaître. Mais il s'agit là d'une culture très minoritaire. À droite comme à gauche, il est généralement admis que les marchés et la concurrence ont besoin de règles claires, d'arbitres indépendants et efficaces. Il est admis, également, que les marchés ont aussi besoin de politiques publiques capables de répondre aux besoins communs fondamentaux - l'éducation, la santé, les infrastructures, la justice et la sécurité publique. Si des politiques publiques - par exemple en matière d'infrastructures énergétiques, de transports... - peuvent être financées grâce à des ressources provenant de l'épargne des ménages, et être gérées puis placées par un investisseur de long terme comme la Cassa Depositi e Prestiti, avec des taux de rentabilité interne sûrs et modérés, alors pourquoi un libéral moderne devrait-il s'y opposer ?
Y. M. - Cette crise est supposée réhabiliter l'intervention des agents économiques de long terme afin …