Mince, de taille moyenne, la barbe et les cheveux grisonnants, des yeux d'un bleu intense qui lancent des éclairs quand il s'emporte, Akhmed Zakaev, dernier chef historique de la résistance tchétchène, ressemble davantage à un intellectuel qu'au fanatique échevelé dépeint par les autorités russes. Né en 1956 non loin de la ville d'Alma-Ata, ancienne capitale de la république du Kazakhstan, Akhmed Zakaev fait partie de ces nombreuses familles tchétchènes exilées à la fin de la Seconde Guerre mondiale par Staline. Après la fin de ses études secondaires, il opte pour une carrière artistique. Il étudie l'art dramatique et la chorégraphie à Voronej puis à Moscou. Une fois son diplôme en poche, il décide de revenir s'établir sur la terre de ses ancêtres. Il se produit au théâtre de Grozny où il obtient un franc succès, en particulier dans les pièces de Shakespeare qui constituent l'essentiel de son répertoire. En 1991, il est nommé président de l'Union tchétchène des acteurs dramatiques puis, en 1994, ministre de la Culture de la république séparatiste alors dirigée par Djokhar Doudaev.
Au moment de l'entrée des troupes russes en Tchétchénie, Akhmed Zakaev, estimant que son premier devoir est de défendre sa patrie, abandonne la scène pour prendre les armes. Il commande une petite unité sous les ordres de Rouslan Gelaev (1), prend part à la bataille de Grozny et assure la défense du village de Goyskoye. Propulsé commandant de la région ouest, il participe au raid sur Grozny au cours duquel il mène personnellement l'attaque contre la gare.
Ses succès militaires lui ouvrent toutes grandes les portes de la politique. Il devient conseiller pour les questions de sécurité et secrétaire du Conseil de sécurité de la république tchétchène. Puis, après la victoire d'Aslan Maskhadov à l'élection présidentielle, il est nommé vice-premier ministre chargé de l'Éducation et de la Culture. Très proche de Maskhadov- dont il partage les vues -, il négocie avec le général Lebed le traité de Khassaviourt qui met fin à la première guerre de Tchétchénie.
Pendant l'entre-deux-guerres, Akhmed Zakaev, qui a décidément plus d'une corde à son arc, publie un livre au titre révélateur : Le Wahhabisme, recours des Russes contre les mouvements de libération nationale. Il y explique comment le FSB (ex-KGB) instrumentalise l'islam pour briser les velléités indépendantistes de certaines républiques.
Dans les années 1999-2000, Akhmed Zakaev commande la garde présidentielle du président Maskhadov. Il se rend souvent en Russie, même après la reprise des hostilités, pour tenter de trouver une issue négociée au conflit tchétchène. Lors du siège de Grozny, il est victime d'un très grave accident de voiture. Parti se soigner à l'étranger (2), il choisit de ne pas retourner en Tchétchénie.
Depuis 2002, Akhmed Zakaev vit en Grande-Bretagne où il a obtenu l'asile politique. Envoyé spécial du président Maskhadov jusqu'à la mort de ce dernier en 2005, il a voyagé dans de nombreux pays - France, Allemagne, Pologne... - pour plaider la cause de son peuple. À plusieurs reprises, il rencontre des émissaires du Kremlin, en particulier le général Kazantchev et Ivan Rybkine (3), l'ancien président du Conseil de sécurité. Ces pourparlers restent sans lendemain par la faute des Russes qui exigent une capitulation sans condition - une concession inacceptable aux yeux de la résistance tchétchène.
En octobre 2002, alors qu'il assiste à Copenhague au Congrès du peuple tchétchène, il est arrêté à la demande des autorités russes. Un mandat d'arrêt international a été émis contre lui pour son implication supposée dans la prise d'otages du théâtre de Nord-Ost - une accusation qu'il a toujours rejetée avec la plus grande fermeté. Détenu pendant cinq semaines, il est finalement relâché par les autorités danoises, faute de preuves. De retour à Londres, où il fait l'objet d'une demande d'extradition pour actes terroristes accompagnés de tortures, il est arrêté une seconde fois puis libéré sous caution.
Depuis quelque temps, il a pris ses distances avec l'aile la plus radicale de la résistance tchétchène, mais il n'en reste pas moins sourd aux invitations de Ramzan Kadyrov qui lui demande régulièrement de rentrer au pays.
Homme de conviction et de dialogue, musulman sincère mais modéré, fin diplomate rompu au dialogue, Akhmed Zakaev sait que l'indépendance devra être négociée. Président depuis 2007 du gouvernement tchétchène en exil (4), il pourrait jouer un rôle de premier plan dans la recherche d'une solution durable et acceptable pour tous.
N. O. Nathalie Ouvaroff - Comment jugez-vous la situation en Tchétchénie en ce début d'année 2010 ?
Akhmed Zakaev - Elle est absolument catastrophique. Les affirmations de la direction russe et de ses hommes de paille, qui ne cessent de répéter que le pays vit en paix et connaît un développement remarquable, ne sont que des mensonges. La vérité, c'est que la Tchétchénie baigne dans un climat de violence et de peur. La peur est partout, dans toutes les familles. Personne ne se sent en sécurité. Bien sûr, il y a des exceptions : les valets de Poutine et de Ramzan Kadyrov, eux, reçoivent le prix de leur trahison sous forme d'avantages en nature et en argent. Vous savez, cette situation n'a rien d'exceptionnel : c'est celle de tous les pays occupés. Souvenez-vous de la Seconde Guerre mondiale lorsque l'Europe était sous la botte allemande : il y avait des résistants, mais aussi des collaborateurs qui servaient l'occupant par conviction idéologique ou par intérêt (ou les deux) et qui coulaient des jours paisibles. Nous assistons au même phénomène dans notre pays.
N. O. - Dans ces conditions, pourquoi avez-vous demandé aux combattants de l'intérieur de déposer les armes ?
A. Z. - Ce n'est pas ce que j'ai demandé. Les journalistes ont déformé mes propos. J'ai toujours affirmé, comme mes prédécesseurs, les présidents Djokhar Doudaev et Aslan Maskhadov, qu'il n'existe pas de solution militaire au conflit tchétchène. Comme eux, je suis profondément convaincu qu'on ne peut rien imposer ni rien obtenir par la force. C'est encore plus vrai aujourd'hui, alors que la propagande et les services spéciaux russes ont réussi à opposer les Tchétchènes entre eux. Combattre la police revient à jouer le jeu des Russes qui veulent « tchétchéniser » le conflit, c'est-à-dire le transformer en guerre civile. Rien ne serait plus dommageable pour notre peuple. C'est la raison pour laquelle le Conseil des ministres du gouvernement en exil qui s'est réuni à Berlin sous ma présidence a demandé aux combattants de s'abstenir de toute action contre la police qui - je le rappelle - est composée exclusivement de Tchétchènes. Je dis bien : contre la police et elle seule. Voilà ce qui a été décidé, et rien d'autre. Certaines forces nous suivent tout en continuant à combattre l'occupant. Mais d'autres groupes, les plus radicaux, continuent à mener « leur » guerre. Nous désapprouvons ces comportements. Nous avons répété, à maintes reprises, que nous étions opposés à toute forme de violence contre la population civile, pour la bonne raison que les Tchétchènes ont déjà gagné la guerre. La traduction dans les faits de cette victoire n'est plus qu'une question de temps.
N. O. - N'est-ce pas plutôt Poutine et Kadyrov qui ont gagné la guerre ?
A. Z. - Non, je peux vous assurer que Poutine et Kadyrov ont perdu la guerre.
N. O. - Pourtant, Ramzan Kadyrov est parvenu à démanteler une partie de la résistance armée. Il a obtenu du Kremlin la levée de l'état d'urgence et il a …
Au moment de l'entrée des troupes russes en Tchétchénie, Akhmed Zakaev, estimant que son premier devoir est de défendre sa patrie, abandonne la scène pour prendre les armes. Il commande une petite unité sous les ordres de Rouslan Gelaev (1), prend part à la bataille de Grozny et assure la défense du village de Goyskoye. Propulsé commandant de la région ouest, il participe au raid sur Grozny au cours duquel il mène personnellement l'attaque contre la gare.
Ses succès militaires lui ouvrent toutes grandes les portes de la politique. Il devient conseiller pour les questions de sécurité et secrétaire du Conseil de sécurité de la république tchétchène. Puis, après la victoire d'Aslan Maskhadov à l'élection présidentielle, il est nommé vice-premier ministre chargé de l'Éducation et de la Culture. Très proche de Maskhadov- dont il partage les vues -, il négocie avec le général Lebed le traité de Khassaviourt qui met fin à la première guerre de Tchétchénie.
Pendant l'entre-deux-guerres, Akhmed Zakaev, qui a décidément plus d'une corde à son arc, publie un livre au titre révélateur : Le Wahhabisme, recours des Russes contre les mouvements de libération nationale. Il y explique comment le FSB (ex-KGB) instrumentalise l'islam pour briser les velléités indépendantistes de certaines républiques.
Dans les années 1999-2000, Akhmed Zakaev commande la garde présidentielle du président Maskhadov. Il se rend souvent en Russie, même après la reprise des hostilités, pour tenter de trouver une issue négociée au conflit tchétchène. Lors du siège de Grozny, il est victime d'un très grave accident de voiture. Parti se soigner à l'étranger (2), il choisit de ne pas retourner en Tchétchénie.
Depuis 2002, Akhmed Zakaev vit en Grande-Bretagne où il a obtenu l'asile politique. Envoyé spécial du président Maskhadov jusqu'à la mort de ce dernier en 2005, il a voyagé dans de nombreux pays - France, Allemagne, Pologne... - pour plaider la cause de son peuple. À plusieurs reprises, il rencontre des émissaires du Kremlin, en particulier le général Kazantchev et Ivan Rybkine (3), l'ancien président du Conseil de sécurité. Ces pourparlers restent sans lendemain par la faute des Russes qui exigent une capitulation sans condition - une concession inacceptable aux yeux de la résistance tchétchène.
En octobre 2002, alors qu'il assiste à Copenhague au Congrès du peuple tchétchène, il est arrêté à la demande des autorités russes. Un mandat d'arrêt international a été émis contre lui pour son implication supposée dans la prise d'otages du théâtre de Nord-Ost - une accusation qu'il a toujours rejetée avec la plus grande fermeté. Détenu pendant cinq semaines, il est finalement relâché par les autorités danoises, faute de preuves. De retour à Londres, où il fait l'objet d'une demande d'extradition pour actes terroristes accompagnés de tortures, il est arrêté une seconde fois puis libéré sous caution.
Depuis quelque temps, il a pris ses distances avec l'aile la plus radicale de la résistance tchétchène, mais il n'en reste pas moins sourd aux invitations de Ramzan Kadyrov qui lui demande régulièrement de rentrer au pays.
Homme de conviction et de dialogue, musulman sincère mais modéré, fin diplomate rompu au dialogue, Akhmed Zakaev sait que l'indépendance devra être négociée. Président depuis 2007 du gouvernement tchétchène en exil (4), il pourrait jouer un rôle de premier plan dans la recherche d'une solution durable et acceptable pour tous.
N. O. Nathalie Ouvaroff - Comment jugez-vous la situation en Tchétchénie en ce début d'année 2010 ?
Akhmed Zakaev - Elle est absolument catastrophique. Les affirmations de la direction russe et de ses hommes de paille, qui ne cessent de répéter que le pays vit en paix et connaît un développement remarquable, ne sont que des mensonges. La vérité, c'est que la Tchétchénie baigne dans un climat de violence et de peur. La peur est partout, dans toutes les familles. Personne ne se sent en sécurité. Bien sûr, il y a des exceptions : les valets de Poutine et de Ramzan Kadyrov, eux, reçoivent le prix de leur trahison sous forme d'avantages en nature et en argent. Vous savez, cette situation n'a rien d'exceptionnel : c'est celle de tous les pays occupés. Souvenez-vous de la Seconde Guerre mondiale lorsque l'Europe était sous la botte allemande : il y avait des résistants, mais aussi des collaborateurs qui servaient l'occupant par conviction idéologique ou par intérêt (ou les deux) et qui coulaient des jours paisibles. Nous assistons au même phénomène dans notre pays.
N. O. - Dans ces conditions, pourquoi avez-vous demandé aux combattants de l'intérieur de déposer les armes ?
A. Z. - Ce n'est pas ce que j'ai demandé. Les journalistes ont déformé mes propos. J'ai toujours affirmé, comme mes prédécesseurs, les présidents Djokhar Doudaev et Aslan Maskhadov, qu'il n'existe pas de solution militaire au conflit tchétchène. Comme eux, je suis profondément convaincu qu'on ne peut rien imposer ni rien obtenir par la force. C'est encore plus vrai aujourd'hui, alors que la propagande et les services spéciaux russes ont réussi à opposer les Tchétchènes entre eux. Combattre la police revient à jouer le jeu des Russes qui veulent « tchétchéniser » le conflit, c'est-à-dire le transformer en guerre civile. Rien ne serait plus dommageable pour notre peuple. C'est la raison pour laquelle le Conseil des ministres du gouvernement en exil qui s'est réuni à Berlin sous ma présidence a demandé aux combattants de s'abstenir de toute action contre la police qui - je le rappelle - est composée exclusivement de Tchétchènes. Je dis bien : contre la police et elle seule. Voilà ce qui a été décidé, et rien d'autre. Certaines forces nous suivent tout en continuant à combattre l'occupant. Mais d'autres groupes, les plus radicaux, continuent à mener « leur » guerre. Nous désapprouvons ces comportements. Nous avons répété, à maintes reprises, que nous étions opposés à toute forme de violence contre la population civile, pour la bonne raison que les Tchétchènes ont déjà gagné la guerre. La traduction dans les faits de cette victoire n'est plus qu'une question de temps.
N. O. - N'est-ce pas plutôt Poutine et Kadyrov qui ont gagné la guerre ?
A. Z. - Non, je peux vous assurer que Poutine et Kadyrov ont perdu la guerre.
N. O. - Pourtant, Ramzan Kadyrov est parvenu à démanteler une partie de la résistance armée. Il a obtenu du Kremlin la levée de l'état d'urgence et il a …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
J'ai déjà un compte
M'inscrire
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :
- Historiques de commandes
- Liens vers les revues, articles ou entretiens achetés
- Informations personnelles