Entretien avec
Pierre Lellouche, Secrétaire d'État chargé des Affaires européennes depuis juin 2009
par
Baudouin Bollaert, ancien rédacteur en chef au Figaro, maître de conférences à l'Institut catholique de Paris
n° 126 - Hiver 2010
Baudouin Bollaert - Comment voyez-vous la fonction de Herman Van Rompuy, désigné le 19 novembre dernier par ses pairs à la tête de l'Union européenne : chief executive, chairman ou président qui inaugure les chrysanthèmes ? Pierre Lellouche - Sa fonction n'est pas, comme certains auraient pu le souhaiter, d'être le George Washington d'États-Unis d'Europe qui n'existent pas ! Elle n'est pas non plus purement représentative, à l'image de ces présidents de la IIIe ou de la IVe République que vous évoquiez et qui, effectivement, « inauguraient les chrysanthèmes ». J'ajoute que j'ai lu et entendu - surtout au moment de sa désignation - beaucoup d'attaques personnelles contre Herman Van Rompuy, qui n'étaient pas convenables. C'est, il faut le dire, un homme de grande qualité. Et je le vois, en effet, plutôt comme un chairman, au sens de « facilitateur ». Et puis n'oubliez pas que désormais ce n'est plus la présidence tournante qui représentera l'Union à l'extérieur, mais bien le président stable du Conseil européen. En le désignant, à l'unanimité, les chefs d'État et de gouvernement des Vingt-Sept ont appliqué à la lettre le Traité de Lisbonne. Ni plus ni moins. B. B. - Que va faire le chairman ? P. L. - Il va assurer la continuité du travail du Conseil européen. C'est là que réside peut-être le malentendu : avant de remplir un rôle de représentation et de donner des conférences de presse, il devra, en liaison avec les chefs d'État et de gouvernement - qui, eux, possèdent la légitimité de l'élection populaire -, fixer l'agenda des dossiers dont le Conseil européen s'emparera, et surtout suivre leur exécution dans la durée. D'ailleurs, Herman Van Rompuy a déjà pris l'initiative, en convoquant pour le mois de février un Conseil européen extraordinaire consacré aux questions économiques. Son rôle sera de faire naître les consensus nécessaires aux décisions du Conseil européen et de veiller à leur exécution effective, en lien avec la Commission et le Parlement européens. Les structures européennes sont compliquées : nous sommes dans une construction sui generis, mais les textes l'ont voulu ainsi. Avec le Traité de Lisbonne, de nombreuses compétences nationales ont été déléguées à l'Union - une cinquantaine de plus que dans le Traité de Nice. La codécision est désormais la règle entre le Conseil et le Parlement européens ; la fonction de M. Van Rompuy, à défaut d'être « glamour », sera essentielle pour faciliter le travail des Vingt-Sept. B. B. - L'Union est aujourd'hui dirigée par un quatuor avec, outre Herman Van Rompuy, José Manuel Barroso à la présidence de la Commission, Jerzy Buzek au perchoir du Parlement européen et Catherine Ashton en charge de la diplomatie. Cette hydre à plusieurs têtes n'est-elle pas une source de confusion pour le citoyen moyen, d'autant que les présidences semestrielles tournantes des États membres n'ont pas disparu ? P. L. - Votre image de l'hydre est, permettez-moi de vous le dire, un peu injuste ! L'Union européenne ne dévore personne. Elle met en commun des segments de souveraineté au service de la collectivité des Vingt-Sept. Quant aux quatre têtes que vous évoquez, il s'agit d'un mode de séparation des pouvoirs, sans doute imparfait, mais qui correspond à la réalité politique de nos États à ce stade de notre histoire commune. On pourrait souhaiter que tout soit plus simple, qu'il y ait un président unique de l'Europe et un Parlement unique pour toute l'Europe, mais ce n'est pas le cas : l'Union européenne n'est pas une fédération. À la place d'un « gouvernement européen » stricto sensu, nous avons un système dans lequel les Vingt-Sept s'efforcent en permanence de trouver des consensus ou des majorités pour avancer. Mais l'Europe peut à présent avancer, dans tous les domaines, là où existe la volonté politique. En ce sens, c'est bien une nouvelle page de l'histoire de l'Europe qui s'ouvre en ce moment : après la phase de construction pendant la guerre froide (1945-1989) à partir de la réconciliation franco-allemande, après la phase de réunification de ces vingt dernières années (1989-2009), il s'agit pour l'Europe de trouver sa place dans le monde globalisé du XXIe siècle. La boîte à outils institutionnelle du Traité de Lisbonne permet d'avancer. Reste l'essentiel : la volonté politique. Sur ce point, la leçon de la crise et de la géopolitique du XXIe siècle, c'est qu'aucun État européen pris isolément, qu'il soit grand ou petit, n'est à la taille des problèmes qui se posent dans le monde. S'il n'y a pas d'unanimité, il faut donc trouver des coalitions et des majorités qualifiées pour rassembler les 500 millions d'Européens autour de projets indispensables, domaine par domaine. Cela demande beaucoup d'efforts - je le vis au quotidien ! - mais c'est la voie à suivre. B. B. - José Manuel Barroso, le président de la Commission, n'est-il pas plus légitime que Herman Van Rompuy ? Il est, en effet, investi par un Parlement européen élu au suffrage universel dont les pouvoirs vont s'accroître avec le Traité de Lisbonne... P. L. - Dire que M. Barroso jouit d'une légitimité « plus grande » que celle de M. Van Rompuy ne serait tout simplement pas exact. Ces deux fonctions ne sont pas concurrentes : le Traité attribue à chacun un rôle bien défini auquel répond un mode de désignation spécifique. Dès lors, l'un et l'autre sont parfaitement légitimes, dans le cadre de leurs attributions respectives. M. Van Rompuy a été désigné à l'unanimité par ses pairs - autrement dit par les chefs d'État et de gouvernement - et disposera des compétences que lui attribuent les Traités. Sa force, face à la Commission et au Parlement, sera de pouvoir s'appuyer sur des décisions prises par vingt-sept chefs d'État et de gouvernement issus du suffrage universel. B. B. - Il n'empêche... Comment rendre la nomination du chairman de l'Europe sinon plus démocratique, du moins plus transparente ? Comme l'a dit Alain Lamassoure, on se serait cru revenu « aux moeurs du sérail de l'Empire ottoman »... P. L. - J'ai beaucoup d'estime …
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