Entretien avec
Dalia Grybauskaite
par
Antoine Jacob, journaliste indépendant couvrant les pays nordiques et baltes. Auteur, entre autres publications, de : Les Pays baltes, Lignes de repères, 2009 ; Histoire du prix Nobel, François Bourin Éditeur, 2012.
n° 126 - Hiver 2010
Antoine Jacob - Madame la présidente, vous êtes entrée en fonctions il y a quelques mois. En matière de politique étrangère, dans quels domaines souhaitez-vous faire la différence par rapport à vos prédécesseurs ? Dalia Grybauskaite - Chaque président conduit une politique étrangère différente. Personnellement, je souhaite faire en sorte que la Lituanie ait des relations équilibrées aussi bien avec ses voisins orientaux (la Russie et la Biélorussie) qu'avec les autres États membres de l'Union européenne. J'aspire, tout particulièrement, à renforcer nos liens avec les pays d'Europe de l'Ouest - des liens dans lesquels la Lituanie n'a guère investi au cours des cinq dernières années. A. J. - Pourquoi un tel manque d'intérêt, d'après vous ? Le moment n'était-il pas venu pour votre pays, après son adhésion à l'UE en mai 2004, de renforcer ses liens avec les autres États qui la composent ? D. G. - Je ne veux pas juger le passé, je préfère regarder droit devant moi. A. J. - Pourquoi est-il important, à vos yeux, de se rapprocher de l'Europe de l'Ouest et d'être plus en phase avec ce qui se passe à Bruxelles ? D. G. - Nous savons qu'un grand nombre de décisions qui seront prises par l'UE dans un futur proche auront un impact direct sur notre économie et sur notre vie politique pour des décennies. La Lituanie ne doit donc pas négliger le processus de décision en place à Bruxelles. Au contraire, elle doit y participer activement. C'est d'autant plus nécessaire que le traité de Lisbonne nous incite à avoir une politique étrangère coordonnée. Plus l'Europe parlera d'une seule voix, plus elle aura de l'influence. A. J. - Un Belge et une Britannique sont devenus, respectivement, président du Conseil européen et chef de la diplomatie de l'UE. Pensez-vous qu'au moins l'un de ces postes nouvellement créés aurait dû être attribué à un représentant de l'un des nouveaux États membres de l'UE ? D. G. - Je ne fais plus de distinction entre anciens et nouveaux États membres. Ce dont nous avons besoin, ce sont des personnalités capables, pouvant travailler, chacune dans son domaine, de la manière la plus efficace. La personnalité prime sur tout - le pays, le sexe, l'âge, etc. Et ce principe devrait valoir pour toute nomination. A. J. - Comment qualifieriez-vous l'état actuel des relations entre la Lituanie et la Russie ? D. G. - Au cours de ces dernières années, nos relations ont été assez limitées et distantes. Désormais, après huit ans de silence entre les dirigeants des deux pays, le contact a été renoué. Nous avons eu des conversations téléphoniques visant à résoudre des problèmes économiques. J'ai également eu la possibilité de rencontrer le président Dmitri Medvedev à Berlin (1). Il y a donc la volonté, de part et d'autre, d'améliorer les relations bilatérales. Mais cette amélioration doit se faire sans coup de pouce artificiel. Nous voudrions que ces relations se développent naturellement. A. J. - Attendez-vous de la Russie qu'elle fasse un geste pour signifier sa bonne volonté ? Par exemple en rouvrant l'oléoduc Droujba, que Moscou a fermé en 2006 (2) ? D. G. - Je n'attends aucun geste de quiconque. J'aimerais entretenir des relations de confiance, respectueuses et utiles aux deux côtés. Sous quelle forme pourraient-elles se concrétiser ? Nous verrons cela dans le futur. A. J. - Vous venez de parler de « huit ans de silence »... D. G. - Huit ans de non-communication entre les présidents des deux pays. A. J. - Il y avait pourtant eu des possibilités de dialoguer. Par exemple, à l'occasion de la commémoration de la fin de la Seconde Guerre mondiale, en mai 2005 à Moscou. Mais votre prédécesseur, Valdas Adamkus, avait refusé de se rendre dans la capitale russe, contrairement à la présidente lettone de l'époque (3). Que pensez-vous de cette attitude ? D. G. - Je le répète : après huit ans de silence, j'ai pris mon téléphone et nous avons parlé. Je ne veux pas commenter ce qui a eu lieu par le passé, je regarde devant moi. A. J. - La Russie demeure le premier partenaire commercial de la Lituanie... D. G. - Nous importons beaucoup de Russie, en particulier des matières premières et de l'énergie. Mais, dans d'autres domaines, nos principaux partenaires sont les pays de l'UE. Cela dit, en cette période de crise, aucun pays ne peut se permettre de faire passer ses relations économiques au deuxième plan. A. J. - De bonnes relations économiques avec la Russie doivent-elles primer sur d'autres sujets ? D. G. - Elles peuvent être une bonne base pour l'amélioration des relations en général. En tout cas, elles sont importantes pour nos entreprises... tout comme pour celles de la Russie. A. J. - Plusieurs dossiers ont empêché un réchauffement des relations entre Moscou et Vilnius, notamment les demandes de dédommagements financiers pour l'occupation soviétique formulées par l'État lituanien. Cette exigence doit-elle être abandonnée ? D. G. - Cette demande doit rester d'actualité, car c'est une obligation légale dans mon pays. Une loi oblige tout gouvernement lituanien à discuter avec la Russie de la question des compensations. Ce texte a été confirmé par référendum (4). Mais la loi ne précise pas sous quelle forme cette discussion doit avoir lieu. Cet aspect demeure donc un point ouvert à la discussion. A. J. - Ces dernières années, la Lituanie a très activement appuyé l'Ukraine, la Géorgie et d'autres ex-républiques soviétiques. Elle a contribué au développement de valeurs démocratiques dans ces pays et les a aidés politiquement et diplomatiquement. Vilnius a été en pointe dans le soutien à la Géorgie lors de sa courte guerre avec la Russie, en août 2008. Cette politique volontariste, devenue l'axe principal de la diplomatie lituanienne, doit-elle se poursuivre ou bien faut-il la tempérer ? D. G. - Je maintiendrai une politique étrangère permettant à la Lituanie de partager ses expériences dans le développement de la démocratie avec certains pays, s'ils sont intéressés par une telle assistance. A. J. - Plaiderez-vous en faveur d'une …
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