Entretien avec
Dalai lama, Chef temporel et spirituel des Tibétains, prix Nobel de la paix 1989
par
Chen Yan, Historien.
n° 126 - Hiver 2010
Chen Yan - La Chine vient de fêter le soixantième anniversaire de la naissance de la République populaire. Cette année 2009 a également marqué le cinquantième anniversaire de votre départ de Lhassa et de celui de milliers de Tibétains vers l'exil. Quel regard portez-vous sur ces dernières décennies ? Sa Sainteté le Dalaï-Lama - La Chine d'aujourd'hui est fondamentalement différente de la Chine d'il y a trente ou quarante ans. Le tournant se situe en 1978, avec le retour de Deng Xiaoping au pouvoir et le lancement de la politique de réforme. Incontestablement, le développement économique a permis d'améliorer les conditions de vie des Chinois. Ils sont de plus en plus nombreux à voyager, et de plus en plus d'étudiants chinois font des études à l'étranger. Grâce à ces échanges, la Chine devient de plus en plus perméable aux valeurs démocratiques de l'Occident. C. Y. - 2009, c'est aussi le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, qui a sonné le glas du système communiste en Europe. Comment envisagez-vous la sortie du communisme en Chine ? D.-L. - Un effondrement brutal du régime, à l'image de ce qu'a connu l'Union soviétique, serait problématique non seulement pour la Chine mais aussi pour les pays voisins. La meilleure solution serait, pour le Parti communiste chinois, de mettre en place, de sa propre initiative, des réformes politiques graduelles. J'approuve entièrement le point de vue qu'a exprimé le vice-président Xi Jinping dans un long texte publié par le Quotidien du Peuple (3) : il insiste sur l'importance des comportements démocratiques au sein du Parti et appelle de ses voeux l'organisation d'élections directes au niveau des instances de base. Le président Hu Jintao a également mentionné à plusieurs reprises le mot démocratie dans son discours d'ouverture du XVIIe Congrès du Parti communiste chinois en octobre 2007. Mais la démocratie ne saurait se contenter de discours. Elle doit s'ancrer dans le concret. Je suis néanmoins confiant : les dirigeants savent que la démocratie est incontournable, et lorsqu'ils mesureront l'intérêt à long terme que la Chine peut en retirer, ils seront bien obligés de régler cette question. C. Y. - Vous voulez dire que, sans la démocratie, la Chine ne deviendra jamais une véritable grande puissance ? D.-L. - Absolument. La Chine est un grand pays qui est appelé à occuper une position importante sur la scène mondiale. Pour l'instant, elle en est loin car le reste du monde ne lui fait pas confiance. La raison ? Son manque de transparence. C'est parce que la Chine se dissimule que ses voisins et la communauté internationale la redoutent. Il n'y a ni liberté de la presse ni liberté de parole. Le gouvernement se réfugie constamment derrière le secret d'État. Ce mot avait peut-être un sens pendant la guerre civile, avant 1949, ou pendant la guerre de Corée, au début des années 1950 ; mais, en temps de paix, est-il nécessaire de tout bâillonner ? Cette censure des médias nuit à l'image de la Chine. N'importe qui, n'importe quel pays, peut commettre des erreurs. Il faut les reconnaître et s'excuser publiquement aux yeux du monde. C. Y. - Lors de votre récent voyage aux États-Unis, vous n'avez pas été reçu par le président Obama. Savez-vous s'il a subi des pressions de la part du gouvernement chinois ? Avez-vous prévu de le rencontrer dans un proche avenir? D.-L. - Le président Obama a certainement subi des pressions. C'était peu de temps avant sa visite à Pékin, au cours de laquelle il a abordé la question tibétaine avec le gouvernement chinois. Pour ne pas irriter ses interlocuteurs, il a jugé plus opportun de ne pas me recevoir. J'étais de son avis. Notre but ultime n'est-il pas de résoudre le problème tibétain ? Il est donc inutile de froisser qui que ce soit. Des amis qui entretiennent des contacts avec des officiels chinois de haut rang m'ont, eux aussi, conseillé de ne pas rencontrer le président américain cette fois-ci. Mais il a été convenu qu'au retour de sa visite en Chine M. Obama me recevrait dès que possible. Comme mes voyages sont programmés longtemps à l'avance et que je n'ai pas l'intention de modifier mes plans, je pense que notre rencontre aura lieu probablement en 2010. C. Y. - Un certain nombre de dirigeants européens, eux, ont bravé les foudres de Pékin. C'est le cas du président Sarkozy qui vous a rencontré en Pologne (4). À la suite de cette entrevue, les relations franco-chinoises ont d'ailleurs connu un sérieux refroidissement... D.-L. - La chancelière allemande et le président français, que j'ai vus l'an dernier, ont tous deux été « punis » par le gouvernement chinois. Cela dit, je ne tiens pas particulièrement à multiplier mes contacts avec les dirigeants, surtout si ces rencontres doivent leur causer des ennuis. Si je sillonne la planète, c'est avant tout pour aller au-devant des peuples. J'estime que, en tant qu'élément de ce vaste ensemble qu'on nomme humanité, il est de mon devoir de promouvoir la bonté qui réside en chacun de nous afin que le monde devienne plus harmonieux. Et, en tant que chef religieux, j'essaie de favoriser le dialogue entre les religions. C'est pourquoi, chaque fois que je visite un pays, je donne toujours des conférences devant le plus grand nombre de personnes possible. Enfin, en tant que Dalaï-Lama, je dois assumer mon rôle de porte-parole de tous les Tibétains qui me font confiance, quel que soit l'endroit où ils se trouvent. Depuis 2001, les responsabilités administratives sont assumées par des élus tibétains (5). Il me reste des responsabilités politiques, mais je joue plus un rôle de conseiller que de décideur. Je suis un semi-retraité ! C. Y. - Quelle impression le président Sarkozy vous a-t-il laissée ? D.-L. - C'est un homme très franc et pas maniéré du tout. Quant à son épouse, que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans le sud de la France, elle était visiblement très émue et très franche elle aussi. C. Y. - Après les manifestations de …
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