Yves Messarovitch - Existe-t-il véritablement, aujourd'hui, un consensus sur l'état des réserves mondiales de pétrole et de gaz ? Jean-François Cirelli - Le recensement des réserves mondiales de pétrole et de gaz n'est pas un exercice facile ! Cela dit, après bien des efforts, on a réussi à harmoniser le classement des réserves à travers ce qu'on appelle le « Petroleum Resources Management System » (PRMS). En revanche, les modes de calcul diffèrent largement d'un pays à l'autre. Des normes ont été définies afin de faciliter les reportings financiers des entreprises pétrolières, tel que le standard de la SEC américaine qui est particulièrement suivi et rigoureux. Il faut aussi noter que la pratique de l'audit des réserves et la publication des résultats sont loin d'être la règle, notamment au sein des compagnies pétrolières ou gazières dites « nationales ». On distingue les réserves commerciales, qui sont déjà découvertes et qui peuvent être produites à des conditions économiques normales, des réserves « sous-commerciales » qui sont déjà découvertes, mais qui ne sont pas exploitables dans des conditions de rentabilité satisfaisante. Et il existe une troisième catégorie : les ressources prospectives non encore découvertes et dont une partie est réputée récupérable. S'agissant des réserves commerciales, elles sont elles-mêmes classées en réserves prouvées (1P), en réserves prouvées et probables (2P) et en réserves prouvées, probables et possibles (3P). Reste que, malgré ces différences d'approche, les organismes chargés de publier les évaluations des réserves s'appuient, pour l'essentiel, sur les mêmes sources d'information. Il n'est donc pas étonnant qu'on retrouve un relatif consensus sur le niveau des réserves prouvées, ou « 1P », autour d'une valeur de 1 200 milliards de barils, soit environ quarante années de production de pétrole au rythme actuel. Pour ce qui concerne les réserves de gaz, le chiffre communément admis par les principaux organismes d'évaluation s'établit autour de 180 000 milliards de m3, ce qui représente une production d'un peu plus de soixante ans au rythme actuel. Les ressources récupérables ultimes, elles, font l'objet d'estimations bien plus aléatoires. Toutes ces estimations sont donc à prendre avec précaution, ne serait-ce que parce que les ressources de pétrole et de gaz dites non conventionnelles, sur lesquelles on fonde de grands espoirs, sont encore très mal évaluées. Pour résumer, disons que les ressources ultimes restantes de pétrole pourraient doubler le potentiel actuel des réserves. Pour le gaz, les ressources ultimes restantes seraient encore plus importantes. Y. M. - Les limites sont-elles uniquement d'ordre physique ? J.-F. C. - Non, elles sont également d'ordre géopolitique dans la mesure où les réserves sont détenues par des États et de grandes compagnies nationales qui n'ont pas nécessairement intérêt, ou envie, d'accroître leur production. À l'autre bout de la chaîne, certaines études prévoient une modération - voire une réduction - des consommations de pétrole et de gaz, mais ces points de vue sont minoritaires. N'oubliez pas que plus de 1,5 milliard d'hommes et de femmes n'ont toujours pas accès à l'énergie et que le développement de l'économie mondiale va fortement peser sur la demande de gaz et, dans une moindre mesure, de pétrole. Y. M. - La dimension financière des marchés du pétrole et du gaz est-elle devenue trop déterminante ? Autrement dit, le poids de la spéculation est-il de nature à fausser l'établissement d'un prix de marché résultant simplement de l'offre et de la demande ? J.-F. C. - Le thème de la spéculation est difficile à aborder posément car les accusations portées contre les agents financiers suscitent des réactions passionnées. Certains considèrent que la spéculation permet de réduire la volatilité du marché. Mais elle apparaît aussi comme un mal nécessaire pour que les opérateurs physiques puissent échanger leurs risques. Ce qui est sûr, c'est que les pays producteurs de l'OPEP ont mis en avant le rôle des marchés financiers dans le prix élevé du pétrole qui a été observé en 2008. Quant à moi, je partage l'avis de Christophe de Margerie de Total qui déclarait : « La spéculation existe, c'est clair. Mais il faudrait être ignorant ou vouloir tromper les gens pour affirmer qu'elle est responsable du passage du prix du baril de 12 à 130 dollars depuis 1999. » L'équilibre entre l'offre et la demande de pétrole s'est tendu à partir de 2007, entraînant une baisse des stocks, notamment aux États-Unis. D'où une forte hausse des prix en 2007 et 2008. Puis la tendance s'est inversée : la demande a fléchi à la suite de la crise économique, provoquant un gonflement des stocks et un recul des prix. Le Congrès américain et la Commission européenne se sont penchés sur l'incidence de la finance sur les marchés du pétrole. Si leurs enquêtes confirment l'importance croissante des positions prises par les acteurs financiers au cours des dernières années, elles ne permettent pas de conclure à leur prépondérance par rapport aux fondamentaux du marché. Selon la CFTC américaine (Commodity Futures Trading Commission), la part des investisseurs de marché ne peut en effet pas expliquer, à elle seule, la hausse des prix enregistrée durant cette période, même si elle y a sans aucun doute contribué. Y. M. - Comment expliquer que les prix du pétrole restent aussi soutenus alors que la consommation tend à baisser depuis quelques mois ? J.-F. C. - Plusieurs facteurs sont généralement évoqués. Le premier est, bien sûr, le rôle de l'OPEP, par le biais de la réduction de la production et donc de la modification de l'équilibre physique à court et moyen terme. La seconde explication tient au fait qu'en cette période d'incertitudes sur l'endettement des États et la valeur des actifs financiers le pétrole fait figure de valeur refuge. Il faut souligner que, les marchés du gaz étant moins liquides que ceux du pétrole, le gaz n'est pas un produit spéculatif, du moins en Europe. Y. M. - Jusqu'à présent, la plupart de ces marchés sont libellés en dollars. La suprématie de la monnaie américaine est-elle menacée ? J.-F. C. - À mon sens, une seule monnaie pourrait concurrencer le dollar …
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