Entretien avec
Karel Schwarzenberg
par
Luc Rosenzweig
n° 126 - Hiver 2010
Luc Rosenzweig - Vous êtes le descendant d'une illustre famille de l'aristocratie d'Europe centrale, apparentée à la plupart des dynasties régnantes du continent. Vous êtes, par ailleurs, un gestionnaire avisé des entreprises familiales et disposez d'une confortable fortune personnelle. Comment avez-vous été conduit à entrer en politique en 1990, alors que vous aviez déjà dépassé la cinquantaine ? Karel Schwarzenberg - C'est la politique qui s'est occupée de moi depuis ma petite enfance ! Pendant la guerre, quand la Gestapo a perquisitionné la maison de mes parents à Prague ; après la guerre, lorsqu'en 1947 les communistes prirent pour cible la famille Schwarzenberg. Je me suis toujours intéressé à la politique, notamment depuis mon passage à l'université. J'ai fait mes premières armes auprès du président Havel lorsque celui-ci m'a sollicité pour diriger sa chancellerie. Je suis resté à ce poste quelques années, puis j'ai pris mes distances - un break de dix ans qui m'a permis de m'immerger dans un pays qu'en fait, en tant qu'émigré, je connaissais fort mal. Je suis revenu à la vie publique en 2004, d'abord comme sénateur, puis comme ministre des Affaires étrangères. En 2009, j'ai participé à la fondation de mon propre parti et je m'y consacre entièrement. Lorsque l'on est tombé une fois dans la politique active, c'est comme une drogue : il est très difficile de s'en passer ! L. R. - Lorsque vous étiez auprès de Vaclav Havel, vous avez assisté à la scission de la République tchèque et de la Slovaquie. Cette séparation, que Havel n'approuvait pas, était-elle inévitable ? K. S. - Pas tout à fait... Pour ma part, j'aurais préféré que les choses se passent autrement. Mais on ne peut pas revenir en arrière et on doit se réjouir que cette séparation se soit effectuée sans effusion de sang, et même sans réelle bagarre sur le partage du patrimoine commun. Comme toujours, dans un événement de ce genre il y a du bon et du mauvais. Le principal avantage, c'est que les complexes des uns et des autres se sont envolés : complexe d'infériorité des Slovaques qui se sentaient dominés par le grand frère tchèque ; et complexe de supériorité des Tchèques qui s'aperçoivent que les Slovaques peuvent parfaitement réussir en économie sans leur aide ni leurs conseils. Aujourd'hui, les relations politiques entre Prague et Bratislava sont très bonnes, quels que soient les partis au pouvoir. Le côté négatif de la séparation, c'est que deux petits États sont plus faibles sur la scène européenne et internationale qu'une Tchécoslovaquie unie de 15 millions d'habitants... L. R. - Votre ami Vaclav Havel fait figure d'exception dans l'histoire des pays postcommunistes. Bien peu nombreux sont, en effet, les dissidents qui se sont imposés à des postes politiques de premier plan. Comment expliquez-vous ce paradoxe ? K. S. - C'est vrai, même si je salue l'élection de mon ami Jerzy Buzek, grand opposant polonais au communisme, à la présidence du Parlement européen. Il faut bien constater que ce ne sont pas les mêmes traits de caractère qui font les bons dissidents dans une dictature et les bons politiciens dans un contexte démocratique. Regardez la France : ils ne sont pas très nombreux, les vrais héros de la Résistance qui ont mené une grande carrière politique après 1945... L. R. - En tant que ministre des Affaires étrangères, vous avez connu des moments agités, en particulier lors de la présidence tchèque de l'UE. Des turbulences causées, entre autres, par le comportement du très europhobe président de la République Vaclav Klaus. Comment, personnellement, avez-vous vécu cette période ? K. S. - Disons que je ne me suis pas ennuyé ! C'était le régime de la douche écossaise : douche froide, douche chaude. Il paraît que c'est bon pour la circulation ! Nous savons tous qu'il y a trois choses qu'il faut prendre comme elles sont : la météo, la famille et les chefs d'État. Le gouvernement a conduit une politique étrangère et européenne sensiblement différente de celle qu'aurait souhaitée le président de la République. Au départ, le premier ministre Mirek Topolanek et le ministre des Affaires européennes Alexandre Vondra étaient, eux aussi, très eurosceptiques. Leurs préjugés se sont peu à peu atténués, puis ils ont totalement disparu à mesure qu'ils travaillaient sur le projet européen. Pour moi, il n'y avait pas de problème, car j'ai toujours été pro-européen. Et, au bout du compte, notre présidence n'a pas été aussi mauvaise qu'on a pu le dire ou l'écrire. Avec la coopération de mon collègue Bernard Kouchner, envers qui je suis très reconnaissant, nous avons, par exemple, pu mettre en oeuvre des mesures humanitaires pendant la guerre à Gaza. Nous n'avons, certes, pas pu arrêter le conflit, mais cette action était essentielle. L. R. - Certaines prises de position de la présidence tchèque de l'UE sur le conflit de Gaza ont pourtant semblé en décalage par rapport à celles de la plupart des États européens qui, eux, critiquaient sévèrement l'intervention israélienne... K. S. - Il y a effectivement eu un couac à l'occasion d'une déclaration du porte-parole du premier ministre (1). Celui-ci était nouveau dans cette fonction et n'a pas mesuré les conséquences de ses paroles... J'estime, pour ma part, que nous avons gardé une position relativement équilibrée tout au long de ce conflit en maintenant le contact aussi bien avec nos amis israéliens qu'avec les Égyptiens et les Palestiniens. Quant à la crise gazière entre l'Ukraine et la Russie - une crise qui a mis en péril l'approvisionnement de plusieurs pays membres de l'UE -, nous sommes parvenus à la désamorcer alors que nous venions tout juste d'accéder à la présidence. Par la suite, c'est vrai, les choses se sont un peu compliquées avec la chute du gouvernement (2). L. R. - Ces succès n'ont pas empêché la presse européenne, et notamment française, de tomber à bras raccourcis sur une présidence tchèque jugée catastrophique... K. S. - La presse française a critiqué notre présidence du début jusqu'à la fin. Il serait vain de rechercher les …
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