Les Grands de ce monde s'expriment dans

LA GRECE DANS LA TOURMENTE

À la tête du Pasok (Mouvement socialiste pan-hellénique), Georges Papandréou remporte facilement les élections législatives du 4 octobre 2009 (1) et accède au pouvoir alors que la Grèce est confrontée à la crise financière la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale : une dette publique et un déficit budgétaire représentant respectivement 113 % et 12,5 % du PIB, ce qui contraint Athènes à emprunter à des taux records (2). C'est au lendemain des élections qu'ont été révélés ces chiffres habilement dissimulés jusque-là... et qui ont beaucoup surpris. La Grèce, dont la croissance avait été de l'ordre de 4 % par an au cours des dix dernières années, apparaissait en effet comme l'un des États de l'Union européenne dont l'économie était le moins atteinte par la crise mondiale (3) ! Les mauvaises nouvelles ne se sont pas arrêtées là. Les difficultés financières du pays ont été artificiellement amplifiées à partir de la fin 2009 par des mouvements spéculatifs incontrôlables. La Grèce et la zone euro tout entière s'en sont trouvées considérablement affaiblies (4).
Les handicaps structurels dont souffre l'économie hellénique depuis de nombreuses décennies et des causes d'ordre conjoncturel expliquent la démesure de la crise grecque. D'une part, la défaillance des structures étatiques de la Grèce - qui n'a jamais disposé d'une véritable administration capable de lutter contre l'évasion fiscale - et la permanence de lourdes dépenses militaires (5) plombent le développement économique de ce petit pays (6). D'autre part, le coût des Jeux olympiques d'Athènes de 2004 (9 milliards d'euros), ainsi que la baisse des recettes touristiques en 2009, ont encore aggravé la situation.
Georges Papandréou, qui avait promis avant les élections législatives de revaloriser les bas salaires et les petites retraites, s'est vu contraint par l'Union européenne d'adopter une brutale politique d'austérité visant à réduire le déficit budgétaire de 4 points en 2010 pour le ramener à moins de 3 % en 2013 (7). Cette politique, soutenue en grande partie par la droite mais combattue vigoureusement par les communistes et l'extrême gauche, a provoqué de grandes manifestations de salariés protestant contre la réduction de leur pouvoir d'achat (8). Et l'hostilité manifestée par la presse allemande et la chancelière Angela Merkel à l'égard de toute aide à la Grèce - menacée d'exclusion de la zone euro - a généré une grande tension entre Athènes et Berlin (9).
Après plusieurs mois de tergiversations, l'UE est parvenue, le 25 mars, à s'accorder sur un plan visant à accompagner les efforts de redressement que met en oeuvre le gouvernement grec (10). Georges Papandréou s'est déclaré satisfait de ce plan, utilisable uniquement si la Grèce ne parvient pas à lever des fonds sur les marchés et associant le FMI aux contributions des seize États de la zone euro qui, en aidant la Grèce, travaillent aussi à la sauvegarde de leur monnaie commune.
Le nouveau premier ministre sait qu'il est condamné à réussir car il n'y a aucune alternative possible à la cure d'austérité qu'il impose depuis plusieurs mois à son pays. Pour faire sortir la Grèce de la zone des tempêtes, Georges Papandréou (dont le père et le grand-père avaient déjà été chefs du gouvernement) dispose de certains atouts et, notamment, d'un réseau de relations personnelles avec de nombreux chefs d'État et de gouvernement qu'il a développé en tant que président de l'Internationale socialiste (depuis 2006). Mais il sait qu'il peut surtout compter sur le peuple grec, fier de son passé prestigieux, très attaché à l'idée européenne et décidé à refonder un État moderne qui soit respecté de tous.
Dans cet entretien exceptionnel, l'homme fort d'Athènes se montre déterminé à surmonter les problèmes actuels et à appliquer l'ambitieux programme sur lequel il a été élu. Il dévoile ici, sans langue de bois, les principes et les buts de son action.
J. C. Jean Catsiapis - Monsieur le Premier ministre, la Grèce, par ses propres efforts et grâce à l'aide de ses partenaires de la zone euro, est sur la voie de l'assainissement de ses finances publiques. Saviez-vous, lorsque vous avez accédé au pouvoir, que le déficit budgétaire ne représentait pas 6,5 % du PIB (comme l'affirmait le gouvernement précédent) mais 12,7 % ?
Georges Papandréou - Lorsque je suis devenu premier ministre, en octobre dernier, je savais parfaitement que la Grèce était confrontée à un sérieux déficit budgétaire. Mais ce n'est qu'après mon entrée en fonctions que j'ai découvert que nos prédécesseurs nous avaient caché le niveau réel du déficit. Comme vous venez de le dire, celui-ci atteignait 12,7 % du PIB, soit le double de ce qu'ils prétendaient ! Le gouvernement précédent - celui de la Nouvelle Démocratie (11) - avait fait passer le déficit public à 30 milliards d'euros et la dette publique à 300 milliards d'euros. Cela dit, le pire déficit que nous avons trouvé en arrivant aux affaires, c'était le déficit de crédibilité de notre pays. Les marchés internationaux ne nous faisaient plus confiance. Résultat : la Grèce s'est trouvée dans une situation très difficile pour couvrir ses besoins d'emprunts.
Malheureusement, entre 2004 et 2009 - je le répète, sous la responsabilité du précédent gouvernement -, la Grèce a reculé. Le gouvernement de la ND a encouragé les aspects les plus négatifs de notre vie politique : pillage des biens publics, priorité donnée à l'intérêt personnel et partisan, favoritisme, opacité, clientélisme, cadeaux fiscaux aux riches, inégalité, illégalité...
J. C. - Les statistiques économiques et financières produites par votre pays auprès de l'Union européenne se sont donc révélées fausses. Que comptez-vous faire pour qu'elles deviennent fiables ?
G. P. - Nous connaissons très bien le problème et nous ne le dissimulons pas. Au contraire, c'est nous qui l'avons dévoilé. C'est pour cette raison que nous sommes en train de mettre en place un nouvel Office de statistiques (12), indépendant du gouvernement. Les données qu'il publiera seront insoupçonnables.
J. C. - La Grèce fait partie des pays de l'Otan qui consacrent le plus d'argent à leurs dépenses militaires. N'est-il pas temps, pour votre gouvernement, de réduire très sensiblement son budget de la défense ?
G. P. - Il est vrai que nos dépenses militaires sont très élevées. Mais c'est malheureusement nécessaire car même si nous sommes membres de l'Otan... nous sommes confrontés à une menace provenant d'un autre membre de l'Otan (13) ! De tous les pays de l'Union européenne, nous sommes les seuls dans ce cas. J'espère que cette situation va changer. Il n'empêche : pour le moment, environ 5 % de notre budget sont affectés à la défense. Ce ratio constitue une véritable surcharge pour notre pays qui n'a pas atteint un niveau de développement comparable à celui des autres États européens. Dans les autres pays membres de l'UE, le poids des dépenses militaires dans le budget oscille entre 1 et 1,5 %. Les dépenses militaires de la …