Les Grands de ce monde s'expriment dans

POUR UN GUATEMALA EXEMPLAIRE

Alvaro Colom Caballeros, président de la République du Guatemala depuis janvier 2008, est un homme de conviction, dont le parcours personnel et familial se confond avec l'histoire tourmentée du plus grand pays d'Amérique centrale. Dans les années 1970 et 1980, alors que le Salvador et le Nicaragua étaient aux prises avec des guerres civiles meurtrières, le Guatemala vivait au rythme des régimes autoritaires. Confrontés aux attaques incessantes de la guérilla de l'URNG (1), les militaires au pouvoir entreprirent de se débarrasser de la gauche modérée qui faisait obstacle à un tête-à-tête qu'ils espéraient victorieux face aux forces révolutionnaires. C'est ainsi que le propre oncle d'Alvaro Colom, Manuel Colom Argueta, maire de la capitale, Ciudad de Guatemala, de 1970 à 1974, et leader de la gauche sociale-démocrate fut assassiné, le 15 mars 1979, par un groupe de soldats aux ordres du régime que dirigeait à l'époque le général Fernando Roméo Lucas. D'autres responsables politiques de la gauche guatémaltèque furent éliminés de la même manière, dont Alberto Fuentes Mohr, fondateur du parti social-démocrate.
Le destin du Guatemala bascula en août 1983 lorsque le général Rios Montt, qui s'était emparé du pouvoir par un coup d'État un an plus tôt, fut renversé par le général Méjia Victores. Ce dernier facilita l'organisation d'élections présidentielles libres. Le démocrate-chrétien Vinicio Cerezo fut élu en novembre 1985. Avec le président du Costa Rica, Oscar Arias (2), il engagea le processus d'Esquipulas (3), qui devait aboutir à un accord de paix régional.
C'est dans ces années-là qu'Alvaro Colom, né le 15 juin 1951, s'engagea en politique. Membre du parti de l'Union nationale de l'Espérance, mouvement social-démocrate dont il ne tarda pas à devenir l'une des figures de proue, il fut nommé vice-ministre de l'Économie en 1991. Il arriva troisième à l'élection présidentielle de 1999, derrière les deux candidats conservateurs, démontrant ainsi que la gauche pouvait gagner un nouvel électorat. Présent au second tour de l'élection de 2003 (qu'il perdit face à Oscar Berger), il décida alors de parcourir le pays et de bâtir un projet pour une alternance pacifiée et pacifique.
Opposé au général à la retraite Otto Perez, qui était soutenu par le Parti patriote, Alvaro Colom remporta finalement l'élection de 2007 avec 52,8 % des suffrages. Pour la première fois depuis 1954, un homme issu d'une gauche progressiste accédait à la tête du Guatemala.
Alvaro Colom a placé sa présidence sous le signe de l'espoir, de l'unité et du progrès, l'objectif étant d'accélérer l'intégration sociale. Favoriser l'accès à l'éducation, faciliter la formation technique et professionnelle : la tâche est lourde dans un pays où 60 % de la population est d'origine maya et où 50 % vit en zone rurale. La langue officielle demeure l'espagnol, mais, depuis les accords de paix de 1996, la Constitution est désormais traduite dans les autres langues parlées au Guatemala : le quiché, le mam, le cakchiquel et le kekchi.
L'autre défi du président consiste à restaurer l'autorité de l'État sur le territoire national. Alors que son prédécesseur avait accéléré la baisse des effectifs de l'armée et des forces de l'ordre, Alvaro Colom veut donner aux militaires et à la police les moyens de lutter contre l'emprise grandissante des narcotrafiquants. Une croisade qui n'est pas du goût de tout le monde : en mai 2009 éclatait une affaire destinée à compromettre le président et qui devait empoisonner la vie politique du pays pendant de longs mois.
Dans une vidéo posthume datée du 10 mai 2009, un avocat, Rodrigo Rosenberg, assassiné quelques jours auparavant, accusait Alvaro Colom d'avoir armé le bras des tueurs. Il affirmait que le chef de l'État voulait l'empêcher de révéler des informations démontrant son implication dans des scandales de blanchiment d'argent et de trafic de drogue. La Commission internationale contre l'impunité au Guatemala (CICIG) (4), mandatée par l'ONU pour mener une enquête indépendante, a rendu ses conclusions en janvier 2010. La CICIG a pu démontrer l'existence d'un sordide complot visant à salir le président et à déstabiliser le Guatemala. De cette épreuve, la démocratie guatémaltèque est sortie renforcée. Quant au président, qui face à la calomnie a toujours affiché une sérénité et une détermination sans faille, il a gagné là ses galons d'homme d'État.
Pa. D. Pascal Drouhaud - Monsieur le Président, vous avez officiellement pris vos fonctions en janvier 2008. Sur quels secteurs avez-vous fait porter vos efforts jusqu'à présent ?
Alvaro Colom - Mes priorités sont la santé et l'éducation. Dans un pays où la guerre a freiné l'action de l'État pendant des décennies, et dans lequel la polarisation politique a laissé des pans entiers de l'action publique en jachère, il s'agit de deux préoccupations majeures. Je veux également lutter contre la pauvreté : la population d'origine indienne, qui représente 60 % de la population totale, a longtemps été exclue du développement et il est temps d'inverser la tendance.
Je voudrais aussi améliorer l'accès à l'énergie et, en particulier, à l'énergie l'hydroélectrique. Depuis quinze ans, le Mexique proposait de fournir au Guatemala de l'électricité à bas prix. Les gouvernements précédents n'avaient jamais répondu à cette offre. Nous l'avons fait : cette interconnexion entrera en service d'ici à 2011.
Il est vrai que certaines politiques, qui s'inscrivent dans la durée, n'ont pas encore produit tous leurs effets. Je pense, bien entendu, à l'accord Sécurité-Justice, que nous avons élaboré avec la Cour suprême et le ministère de la Justice (5), et qui vise à en finir avec l'impunité dont jouissent les auteurs d'actes de violence. Je veux mettre un terme au laxisme qui a prévalu au cours des huit dernières années. Vous savez, au Guatemala, l'armée a été tellement affaiblie et tellement diminuée en termes d'effectifs durant les mandats de mes derniers prédécesseurs que ceux qui cherchent à saper les bases de l'État en ont profité. Les forces de sécurité sont gangrenées par la corruption. Si vous ajoutez le phénomène des « maras », ces gangs ultra-violents qui sèment la terreur, vous vous trouvez là face à un problème social explosif.
Sans vouloir me vanter, il faut reconnaître que les choses ont avancé : un ancien président est actuellement poursuivi en justice (6) et plusieurs hauts gradés sont sous les verrous. Dans cette lutte contre l'impunité, la CICIG nous offre un appui très efficace.
Pa. D. - Quelle est la réalité du narcotrafic au Guatemala ?
A. C. - Le Guatemala est un point de passage du trafic de drogue vers les États-Unis, mais il n'est pas le seul. La Colombie et le Panama et, à un moindre niveau, le Salvador et le Honduras sont également concernés par cette réalité. Tous les jours, la police et l'armée découvrent des caches d'armes lourdes dans le cadre d'opérations menées contre des groupes de narcotrafiquants. Mais ces efforts restent insuffisants car, comme je vous l'ai dit, depuis huit ans, tout a été fait pour démanteler les moyens de l'État et affaiblir les forces de sécurité. D'autant que, depuis juillet 2007, les cartels mexicains se sont implantés au Guatemala (7). Si je n'avais pas remporté les élections en novembre 2007, je ne sais pas ce que serait devenu ce pays...
Pa. D. - Pourtant, en 1996, au moment où les accords de paix avec la guérilla de l'URNG ont été …