À 55 ans, Bernard Squarcini est l'un des piliers du système Sarkozy. Cet ancien commissaire, spécialiste de la lutte antiterroriste, tombeur d'Yvan Colonna - l'assassin du préfet Érignac -, qui fut patron de la DST (Direction de la surveillance du territoire) et numéro deux des RG (Renseignements généraux), est le nouveau tout-puissant chef de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur). Voulue par le président de la République, la fusion des services intérieurs était destinée à éviter les doublons et la concurrence entre des structures qui ont longtemps agi comme si elles étaient rivales. Le nouveau service, dont les 4 000 employés sont installés à Levallois-Perret, travaille sur le territoire national et dépend du ministère de l'Intérieur. Souvent comparée à un FBI à la française, la DCRI traite de ce qui « relève de l'intérêt de la nation ». Chapeautée par le grand chef du contre-espionnage français, que l'on surnomme « Squarc' » ou « le squale », elle a été investie de quatre missions : la lutte antiterroriste ; le contre-espionnage ; la protection des intérêts économiques français ; et la détection des menaces extrémistes. La réforme du renseignement a également donné naissance au CNR, le Conseil national du renseignement, animé par un coordinateur du renseignement, le diplomate Bernard Bajolet. Placée sous l'autorité de l'Élysée, cette structure a eu bien du mal à s'installer et à s'imposer aux différents services. Mais, aujourd'hui, tout le monde convient que la coordination a été renforcée.
Isabelle Lasserre - Monsieur Squarcini, où en est la menace terroriste en France ?
Bernard Squarcini - Dans notre pays, la menace islamiste reste à un niveau très élevé. Surtout celle qui vient d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) (1). Pour plusieurs raisons. D'abord, il existe un lien historique et géographique entre la France et les pays du Maghreb. Depuis l'attentat du RER B (2) en 1995, le modus operandi des terroristes a évolué : issu d'une scission du GIA, le GSPC (3) s'est mué en AQMI. Quant à Al-Qaïda, elle est devenue une menace globale et compte plusieurs affiliés. Par ailleurs, sur notre propre territoire, le phénomène de radicalisation tend à se développer. En 1995, la menace salafiste était directement importée d'Algérie. Aujourd'hui, elle émane d'une zone beaucoup plus vaste, qui couvre tous les pays du Maghreb et s'étend peu à peu au Sud. En quinze ans, malgré les efforts des différents services, malgré les progrès de la coopération internationale, l'islamisme militant a gagné de nouveaux pays : le nord du Mali (où se sont installées les katibates sahéliennes d'AQMI qui ont dû fuir Alger sous la pression militaire et policière), le Niger, la Mauritanie et, depuis peu, le Sénégal. Dans quinze ans, le danger sera peut-être descendu encore plus au sud... Nous avons mis au jour des filières de combattants au départ de l'Europe (et notamment de la Belgique, pour l'une de nos affaires) qui transitent par la Turquie et l'Iran pour aller faire le djihad en Afghanistan. Ces gens imprégnés d'idéologie radicale, qui se sont formés aux techniques de la guérilla, peuvent revenir en Europe pour y commettre des attentats. Enfin, nous sommes confrontés au problème de la radicalisation de ceux qui ont basculé dans le fanatisme religieux et qui, eux aussi, proposent spontanément leurs services à l'« organisation ».
I. L. - La France est-elle particulièrement visée ?
B. S. - Au sein de l'Europe, la France est l'un des pays les plus concernés par la menace terroriste, avec la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Allemagne. Le débat sur l'identité nationale et sur le port du voile, notre participation à des opérations extérieures dans des pays musulmans où les radicaux exigent le « départ des croisés » : tous ces facteurs contribuent à nous désigner comme cibles. Le président de la République a changé la posture diplomatique de la France. Par la nouvelle impulsion donnée aux relations avec la Libye, le Qatar, la Syrie et la Turquie, nous marquons notre détermination à lutter contre le terrorisme, ce qui peut renforcer la volonté de certains de s'en prendre à la France. Mais c'est le prix à payer pour avoir une chance de résoudre certains conflits. C'est aussi le prix à payer si l'on veut sauvegarder un format de veille opérationnelle de qualité sur notre sol. Nous ne pouvons plus vivre dans notre « splendide isolement ». Si la France est une grande nation, il faut qu'elle le démontre, le décline au quotidien et, donc, qu'elle prenne des risques. Ces risques …
Bernard Squarcini - Dans notre pays, la menace islamiste reste à un niveau très élevé. Surtout celle qui vient d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) (1). Pour plusieurs raisons. D'abord, il existe un lien historique et géographique entre la France et les pays du Maghreb. Depuis l'attentat du RER B (2) en 1995, le modus operandi des terroristes a évolué : issu d'une scission du GIA, le GSPC (3) s'est mué en AQMI. Quant à Al-Qaïda, elle est devenue une menace globale et compte plusieurs affiliés. Par ailleurs, sur notre propre territoire, le phénomène de radicalisation tend à se développer. En 1995, la menace salafiste était directement importée d'Algérie. Aujourd'hui, elle émane d'une zone beaucoup plus vaste, qui couvre tous les pays du Maghreb et s'étend peu à peu au Sud. En quinze ans, malgré les efforts des différents services, malgré les progrès de la coopération internationale, l'islamisme militant a gagné de nouveaux pays : le nord du Mali (où se sont installées les katibates sahéliennes d'AQMI qui ont dû fuir Alger sous la pression militaire et policière), le Niger, la Mauritanie et, depuis peu, le Sénégal. Dans quinze ans, le danger sera peut-être descendu encore plus au sud... Nous avons mis au jour des filières de combattants au départ de l'Europe (et notamment de la Belgique, pour l'une de nos affaires) qui transitent par la Turquie et l'Iran pour aller faire le djihad en Afghanistan. Ces gens imprégnés d'idéologie radicale, qui se sont formés aux techniques de la guérilla, peuvent revenir en Europe pour y commettre des attentats. Enfin, nous sommes confrontés au problème de la radicalisation de ceux qui ont basculé dans le fanatisme religieux et qui, eux aussi, proposent spontanément leurs services à l'« organisation ».
I. L. - La France est-elle particulièrement visée ?
B. S. - Au sein de l'Europe, la France est l'un des pays les plus concernés par la menace terroriste, avec la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Allemagne. Le débat sur l'identité nationale et sur le port du voile, notre participation à des opérations extérieures dans des pays musulmans où les radicaux exigent le « départ des croisés » : tous ces facteurs contribuent à nous désigner comme cibles. Le président de la République a changé la posture diplomatique de la France. Par la nouvelle impulsion donnée aux relations avec la Libye, le Qatar, la Syrie et la Turquie, nous marquons notre détermination à lutter contre le terrorisme, ce qui peut renforcer la volonté de certains de s'en prendre à la France. Mais c'est le prix à payer pour avoir une chance de résoudre certains conflits. C'est aussi le prix à payer si l'on veut sauvegarder un format de veille opérationnelle de qualité sur notre sol. Nous ne pouvons plus vivre dans notre « splendide isolement ». Si la France est une grande nation, il faut qu'elle le démontre, le décline au quotidien et, donc, qu'elle prenne des risques. Ces risques …
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