EUROPE : LA CRISE DE LA CINQUANTAINE... ET COMMENT EN SORTIR
EUROPE : LA CRISE DE LA CINQUANTAINE... ET COMMENT EN SORTIR
par
Maryam Salehi bremond
Maryam Salehi Brémond - L'Union européenne a-t-elle, selon vous, gagné en visibilité depuis qu'elle s'est dotée d'un président permanent en la personne de Herman Van Rompuy et d'un haut représentant pour les affaires étrangères, Lady Ashton ? Jean-Pierre Jouyet - Je l'espère, car c'était le but du traité de Lisbonne ! Mais pour ceux qui, comme moi, ont recommandé l'adoption de ce traité, force est de constater que la complexité du dispositif l'emporte aujourd'hui sur sa lisibilité. Une forme de concurrence s'est instaurée entre, d'une part, le président de la Commission, le président du Conseil et la présidence tournante ; d'autre part, la chef de la diplomatie européenne, Lady Ashton, et les appareils diplomatiques nationaux. Deux éléments seront décisifs pour parvenir à plus de simplicité et de fluidité : 1) il faut bâtir rapidement un véritable service diplomatique européen ; 2) l'Europe doit retrouver la réactivité qui a été la sienne pendant la présidence française, notamment en matière économique. M. S. B. - Qu'entendez-vous par complexité des institutions ? J.-P. J. - Lors de mes déplacements dans les pays tiers, on me demande systématiquement « comment ça marche ? » et « à qui s'adresse-t-on ? ». Fin 2010, il faudra faire le bilan de cette première année de fonctionnement du traité de Lisbonne. Or, jusqu'à présent, les résultats ne sont guère probants. Depuis quelques mois, en particulier dans le domaine financier qui est le mien, l'Europe s'est montrée plus indécise et plus divisée que jamais. La crise grecque nous a en fourni un exemple récent. Mais je crois beaucoup aux vertus et aux capacités de Herman Van Rompuy. Dès lors que le service diplomatique européen sera en ordre de marche, il pourra donner toute la mesure de son talent. M. S. B. - Dans ce contexte de crise économique et financière, qu'attendez-vous de Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne, et de Jean-Claude Juncker, président de l'Eurogroupe ? J.-P. J. - J'attends d'eux qu'ils gèrent les déséquilibres dans la zone euro. Ces déséquilibres ne sont pas nouveaux. Ils ont toujours existé car la zone euro est constituée de pays qui, au départ, n'avaient pas les mêmes taux de croissance, ni les mêmes taux d'inflation, ni les mêmes taux de déficit. Or le traité ne règle que les questions budgétaires et les objectifs d'inflation. C'est donc au président de l'Eurogroupe et au président de la Banque centrale européenne qu'il appartient de poser des principes de bonne gouvernance - des principes équilibrés sur les plans à la fois économique, monétaire et budgétaire -, quitte à utiliser de nouveaux outils. La défense de la stabilité du traité, tout à fait normale, ne doit pas conduire à l'immobilisme. Elle n'interdit pas, non plus, de faire preuve d'imagination. Ces deux présidents doivent se mettre d'accord pour conforter l'euro par rapport aux marchés et à nos partenaires extra-européens. Ce qui suppose de conduire une politique monétaire susceptible d'accompagner la reprise et de permettre à l'Europe de rivaliser avec les autres puissances économiques. M. S. B. - Le mandat de Jean-Claude Trichet expire à l'automne 2011. Seriez-vous favorable à ce qu'Axel Weber, actuel président de la Bundesbank, lui succède ? J.-P. J. - Il faut choisir la personnalité la plus compétente. S'agit-il d'Axel Weber ou de Mario Draghi, le président du Conseil de stabilité financière ? Ce sont tous deux de grands professionnels. Et pourquoi pas une tierce personne, une femme ? Même si le Club des banquiers centraux européens n'est pas le plus féminin qui soit... N'oubliez pas, non plus, la règle selon laquelle le dirigeant d'une agence européenne doit être originaire d'un autre pays que celui qui abrite ladite agence. Certes, on peut envisager d'y déroger, mais cela créerait un précédent dont toutes les autres institutions européennes pourraient se prévaloir, car il ne saurait y avoir une règle pour la BCE et une règle différente pour les autres. M. S. B. - Comment voyez-vous l'avenir de la monnaie unique européenne face au dollar américain et à la devise chinoise ? Quelle est la bonne parité euro/dollar ? J.-P. J. - Pour les responsables politiques français, c'est bien simple, l'euro est toujours ou trop fort, ou trop faible. Personnellement, le niveau de l'euro, aujourd'hui, ne m'inspire pas d'inquiétude. Compte tenu de notre dépendance énergétique, il nous permet de faire face à une hausse du coût des matières premières importées, de maintenir notre pouvoir d'achat et de maîtriser l'inflation. Dans le même temps, nous devons dynamiser nos exportations, rester compétitifs, conserver, voire conquérir des parts de marché. Le problème me paraît être davantage celui du dollar et du yuan, manifestement sous-évalués. Nous ne pouvons donc résoudre ces questions de parité que dans le cadre d'un dialogue entre la zone euro, les États-Unis et la Chine. Pour le moment, ce sont les autorités chinoises qui sont les moins réceptives à ce dialogue, en raison de contraintes internes que l'on peut comprendre. J'observe qu'il n'y a pas eu d'intervention sur les marchés internationaux des changes depuis 2004. Je ne suis pas un fétichiste de l'intervention coordonnée en matière de changes mais, entre l'intervention à tout crin et l'immobilisme, il y a une marge. L'important est d'avoir une conception dynamique et équilibrée de la gestion des changes et des parités entre ces trois principales devises. Il serait dommage que l'Europe soit le seul continent à ne pas se défendre et à ne pas gérer sa monnaie de manière « active », comme le font nos principaux partenaires, le Japon, la Chine ou les États-Unis. Ne soyons pas les plus naïfs. M. S. B. - Comment sauver la Grèce ? J.-P. J. - Les Grecs doivent d'abord se sauver eux-mêmes. Le gouvernement de M. Papandréou l'a bien compris et a pris les bonnes décisions. Ensuite, il faut être pragmatique. Indépendamment de ce qui est prévu dans le traité, l'Europe doit inventer un nouvel outil, une nouvelle façon de procéder, quelle que soit la forme que revêt son intervention. Il nous faut un instrument qui nous permette de faire un …
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