Entretien avec
Georges Papandreou, Premier ministre
par
Jean Catsiapis, Maître de conférences à l'Université Paris-X, spécialiste de la Grèce et de Chypre
n° 127 - Printemps 2010
Jean Catsiapis - Monsieur le Premier ministre, la Grèce, par ses propres efforts et grâce à l'aide de ses partenaires de la zone euro, est sur la voie de l'assainissement de ses finances publiques. Saviez-vous, lorsque vous avez accédé au pouvoir, que le déficit budgétaire ne représentait pas 6,5 % du PIB (comme l'affirmait le gouvernement précédent) mais 12,7 % ? Georges Papandréou - Lorsque je suis devenu premier ministre, en octobre dernier, je savais parfaitement que la Grèce était confrontée à un sérieux déficit budgétaire. Mais ce n'est qu'après mon entrée en fonctions que j'ai découvert que nos prédécesseurs nous avaient caché le niveau réel du déficit. Comme vous venez de le dire, celui-ci atteignait 12,7 % du PIB, soit le double de ce qu'ils prétendaient ! Le gouvernement précédent - celui de la Nouvelle Démocratie (11) - avait fait passer le déficit public à 30 milliards d'euros et la dette publique à 300 milliards d'euros. Cela dit, le pire déficit que nous avons trouvé en arrivant aux affaires, c'était le déficit de crédibilité de notre pays. Les marchés internationaux ne nous faisaient plus confiance. Résultat : la Grèce s'est trouvée dans une situation très difficile pour couvrir ses besoins d'emprunts. Malheureusement, entre 2004 et 2009 - je le répète, sous la responsabilité du précédent gouvernement -, la Grèce a reculé. Le gouvernement de la ND a encouragé les aspects les plus négatifs de notre vie politique : pillage des biens publics, priorité donnée à l'intérêt personnel et partisan, favoritisme, opacité, clientélisme, cadeaux fiscaux aux riches, inégalité, illégalité... J. C. - Les statistiques économiques et financières produites par votre pays auprès de l'Union européenne se sont donc révélées fausses. Que comptez-vous faire pour qu'elles deviennent fiables ? G. P. - Nous connaissons très bien le problème et nous ne le dissimulons pas. Au contraire, c'est nous qui l'avons dévoilé. C'est pour cette raison que nous sommes en train de mettre en place un nouvel Office de statistiques (12), indépendant du gouvernement. Les données qu'il publiera seront insoupçonnables. J. C. - La Grèce fait partie des pays de l'Otan qui consacrent le plus d'argent à leurs dépenses militaires. N'est-il pas temps, pour votre gouvernement, de réduire très sensiblement son budget de la défense ? G. P. - Il est vrai que nos dépenses militaires sont très élevées. Mais c'est malheureusement nécessaire car même si nous sommes membres de l'Otan... nous sommes confrontés à une menace provenant d'un autre membre de l'Otan (13) ! De tous les pays de l'Union européenne, nous sommes les seuls dans ce cas. J'espère que cette situation va changer. Il n'empêche : pour le moment, environ 5 % de notre budget sont affectés à la défense. Ce ratio constitue une véritable surcharge pour notre pays qui n'a pas atteint un niveau de développement comparable à celui des autres États européens. Dans les autres pays membres de l'UE, le poids des dépenses militaires dans le budget oscille entre 1 et 1,5 %. Les dépenses militaires de la Grèce sont - en valeur relative - les plus importantes de toute l'Union européenne ; et, à cet égard, nous nous trouvons au deuxième rang des membres de l'Otan après les États-Unis. C'est anormal. J'attire néanmoins votre attention sur le fait que nous avons déjà pris des mesures d'économie. Cette année, nos dépenses militaires vont atteindre 6 milliards d'euros. Cette somme est de 6,6 % inférieure à celle de 2009. Et ce n'est qu'un début : nous entendons bien continuer de réduire ces dépenses. J. C. - Malgré la politique de rapprochement avec la Turquie que vous avez initiée en 1999 (14), les relations gréco-turques sont toujours très tendues. Comment expliquez-vous cette difficulté à établir une politique de bon voisinage avec Ankara ? G. P. - Je vais essayer de rencontrer rapidement le premier ministre turc, comme je l'ai déjà fait par le passé. Nos deux pays ont peut-être des objectifs et des approches différentes ; mais je suis persuadé que nous pouvons nous entendre. Nous voulons discuter ouvertement de tous les dossiers : l'avenir de Chypre ; la question du plateau continental (15) ; et la perspective européenne de la Turquie. Il est très important, pour nous, d'avoir de bonnes relations avec Ankara. Comme vous le savez, nous avons soutenu la candidature turque à l'Union européenne ; cependant, nous estimons que, avant que la Turquie n'adhère à l'UE, certains problèmes brûlants doivent être résolus. J. C. - Vous êtes même l'un des soutiens les plus ardents de la candidature de la Turquie à l'UE. Or la France et l'Allemagne, elles, souhaitent que ce pays obtienne seulement le statut de « partenaire privilégié » de l'Union. Quelles sont les raisons de votre position ? G. P. - Personnellement, je soutiens l'élargissement de l'UE à la Turquie mais, aussi, aux pays des Balkans occidentaux comme l'Albanie, l'ARYM (ancienne république yougoslave de Macédoine), la Croatie, la Serbie ou encore la Bosnie-Herzégovine. J'ai d'ailleurs proposé que les pays des Balkans rejoignent l'UE en 2014, année du centenaire de la Première Guerre mondiale qui a été déclenchée précisément dans les Balkans, à Sarajevo. Ainsi, on pourra clore symboliquement un siècle marqué par la violence et l'instabilité et faire émerger de nouveau la dimension pacifique de l'Europe. J'envisage la même perspective pour la Turquie puisque je soutiens depuis toujours que ce pays doit intégrer l'UE - à condition, je l'ai dit, qu'il remplisse les critères de Copenhague et qu'il règle ses différends avec Chypre et avec nous. La Grèce n'a pas toujours défendu cette position. Elle a longtemps été opposée à l'adhésion de la Turquie. Mais nous estimons désormais que son entrée dans l'UE serait un facteur de stabilité pour toute la région et constituerait un message important pour le monde entier : l'Europe compterait alors en son sein un pays musulman, montrant que les valeurs que nous partageons n'ont aucun lien avec les religions auxquelles nous croyons. J. C. - À ce propos, en décembre dernier, lors d'un entretien accordé à la chaîne américaine …
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