Entretien avec
Erard Corbin de Mangoux, Directeur de la DGSE depuis octobre 2008.
par
Isabelle Lasserre, chef adjointe du service Étranger du Figaro
n° 127 - Printemps 2010
Isabelle Lasserre - Comment devient-on patron de la DGSE quand on a fait toute sa carrière dans la préfectorale ? Erard Corbin de Mangoux - Tout est affaire de circonstances. Il se trouve que j'appartenais, sous l'autorité des préfets Gaudin et Baland, à l'équipe qui a réalisé la réforme de la police nationale du temps où Nicolas Sarkozy était ministre de l'Intérieur. J'ai ensuite été choisi comme directeur général des services des Hauts-de-Seine peu de temps avant que le président du conseil général de ce même département ne soit élu président de la République. Il m'a alors demandé de le suivre à l'Élysée, où je suis resté un an et demi, puis il m'a désigné comme directeur à la DGSE. Voilà comment les événements se sont enchaînés. Le président souhaitait probablement placer à la tête des services extérieurs un homme qu'il connaissait personnellement. Il voulait sans doute que cet homme possédât des capacités d'organisation et de management. Et qu'il fût loyal, fidèle aux institutions. Mais tous les directeurs des services extérieurs ont un peu le même profil. Qu'ils soient militaires, préfets ou ambassadeurs, la plupart ne connaissent rien au monde du renseignement et à ses subtilités avant d'être nommés. Après, à eux de faire leurs preuves. I. L. - Le Livre blanc sur la défense demandé par Nicolas Sarkozy vous assigne une nouvelle fonction : « connaissance et anticipation. » Il a aussi créé un Conseil national du renseignement (1). Pourquoi le président a-t-il ressenti la nécessité de réformer les services de renseignement français ? E. C. M. - Le président de la République a souhaité disposer d'un nouveau Livre blanc parce que, depuis le précédent, en 1994, l'environnement international avait sensiblement changé et qu'il fallait adapter notre dispositif en conséquence. Ce Livre blanc innove dans la mesure où il porte non seulement sur la défense, mais aussi sur la sécurité nationale. Si l'on veut assurer la sécurité de notre pays, de ses intérêts et de ses ressortissants, il faut en effet avoir une vue d'ensemble des problèmes, qu'ils se situent à l'étranger, à nos frontières ou sur notre sol. Le Livre blanc est arrivé à la conclusion que la connaissance et l'anticipation - dont le renseignement est un élément essentiel- devaient être le cinquième pilier de la défense et de la sécurité nationale (avec la prévention, la dissuasion, la protection et l'intervention). Pourquoi ? Parce que dans le monde globalisé, incertain, complexe et mouvant qui est le nôtre, les menaces sont multiples. Elles proviennent d'États ou d'acteurs non étatiques plus ou moins clandestins et opaques. Il est donc plus indispensable que jamais de recourir au renseignement pour décrypter leur fonctionnement et leurs intentions et anticiper leurs actions afin de pouvoir les entraver. En France, traditionnellement, on connaît mal le renseignement et on s'en est longtemps défié. Contrairement, par exemple, aux Britanniques qui en reconnaissent l'utilité depuis longtemps. Ce Livre blanc et les décisions qu'a prises le président de la République à sa suite constituent donc une petite révolution intellectuelle. Pour la première fois, on intègre le renseignement, au plus haut niveau de l'État, dans la panoplie d'outils dont disposent les décideurs de la politique étrangère, de sécurité et de défense. C'est le sens de la création du Conseil national du renseignement qui, sous l'autorité du président, définit les orientations stratégiques en la matière. Il est logique que la coordination s'effectue au niveau du président de la République car il est à la fois l'inspirateur de la politique étrangère et le chef des Armées. Cette priorité donnée au renseignement se traduit aussi par une augmentation des moyens, indispensable pour rester dans la course vis-à-vis tant de nos ennemis - dont il ne faut pas sous-estimer les capacités - que de nos partenaires. Car on ne coopère efficacement que si l'on est reconnu comme crédible. I. L. - Qu'est-ce qui ne fonctionnait pas ? E. C. M. - Les services de renseignement français coopéraient, mais pas suffisamment. Or, en raison de l'imbrication entre l'intérieur et l'extérieur et de la multiplicité des menaces, il était devenu vital d'accroître leur complémentarité et de les faire travailler ensemble. La lutte contre les réseaux terroristes, criminels ou liés à la prolifération suppose d'intégrer toutes les dimensions, y compris financière et douanière. C'est ce que signifie la reconnaissance d'une communauté française du renseignement - concept familier aux États-Unis mais pas en France - qui doit agir de façon collective, coordonnée et cohérente. La réforme du renseignement concerne non seulement son pilotage stratégique, mais aussi son organisation. La création de la DCRI, qui réunit la DST et les RG, répondait à une double nécessité de rationalisation administrative et de synergie opérationnelle entre la surveillance de milieux sensibles et la lutte contre les violences politiques. Dès lors que le cap est fixé par le président de la République et que les compétences des uns et des autres sont clarifiées, les services se parlent et collaborent en confiance. Le coordonnateur national du renseignement les réunit régulièrement pour aborder tous les sujets d'intérêt commun. Certes, tout n'est pas parfait, mais le mouvement est lancé et de nombreux progrès ont été réalisés depuis deux ans. I. L. - Sur quoi portaient les malentendus avant la réforme ? E. C. M. - Chaque service avait son histoire, son statut, son mode de fonctionnement, sa « culture d'entreprise » comme on dit dans le secteur privé. Les relations étaient empreintes de méfiance. Une méfiance largement fondée sur l'ignorance mutuelle : en l'absence de vision et d'orientation au plus haut niveau de l'État, chacun avait tendance à « jouer sa propre carte », c'est-à-dire à préserver, voire à étendre son pré carré et à montrer qu'il était le meilleur. Cela nuisait à la performance collective. Or les services de renseignement ont compris que, face aux menaces transversales, il leur fallait joindre leurs forces. Le 11 Septembre a, à cet égard, beaucoup fait pour modifier les comportements. Les services français ont développé des coopérations d'abord avec leurs partenaires étrangers, avant de comprendre tout l'intérêt qu'ils …
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