Entretien avec
Alvaro Colom, Président de la République du Guatemala depuis janvier 2008.
par
Pascal Drouhaud, spécialiste de l'Amérique latine
n° 127 - Printemps 2010
Pascal Drouhaud - Monsieur le Président, vous avez officiellement pris vos fonctions en janvier 2008. Sur quels secteurs avez-vous fait porter vos efforts jusqu'à présent ? Alvaro Colom - Mes priorités sont la santé et l'éducation. Dans un pays où la guerre a freiné l'action de l'État pendant des décennies, et dans lequel la polarisation politique a laissé des pans entiers de l'action publique en jachère, il s'agit de deux préoccupations majeures. Je veux également lutter contre la pauvreté : la population d'origine indienne, qui représente 60 % de la population totale, a longtemps été exclue du développement et il est temps d'inverser la tendance. Je voudrais aussi améliorer l'accès à l'énergie et, en particulier, à l'énergie l'hydroélectrique. Depuis quinze ans, le Mexique proposait de fournir au Guatemala de l'électricité à bas prix. Les gouvernements précédents n'avaient jamais répondu à cette offre. Nous l'avons fait : cette interconnexion entrera en service d'ici à 2011. Il est vrai que certaines politiques, qui s'inscrivent dans la durée, n'ont pas encore produit tous leurs effets. Je pense, bien entendu, à l'accord Sécurité-Justice, que nous avons élaboré avec la Cour suprême et le ministère de la Justice (5), et qui vise à en finir avec l'impunité dont jouissent les auteurs d'actes de violence. Je veux mettre un terme au laxisme qui a prévalu au cours des huit dernières années. Vous savez, au Guatemala, l'armée a été tellement affaiblie et tellement diminuée en termes d'effectifs durant les mandats de mes derniers prédécesseurs que ceux qui cherchent à saper les bases de l'État en ont profité. Les forces de sécurité sont gangrenées par la corruption. Si vous ajoutez le phénomène des « maras », ces gangs ultra-violents qui sèment la terreur, vous vous trouvez là face à un problème social explosif. Sans vouloir me vanter, il faut reconnaître que les choses ont avancé : un ancien président est actuellement poursuivi en justice (6) et plusieurs hauts gradés sont sous les verrous. Dans cette lutte contre l'impunité, la CICIG nous offre un appui très efficace. Pa. D. - Quelle est la réalité du narcotrafic au Guatemala ? A. C. - Le Guatemala est un point de passage du trafic de drogue vers les États-Unis, mais il n'est pas le seul. La Colombie et le Panama et, à un moindre niveau, le Salvador et le Honduras sont également concernés par cette réalité. Tous les jours, la police et l'armée découvrent des caches d'armes lourdes dans le cadre d'opérations menées contre des groupes de narcotrafiquants. Mais ces efforts restent insuffisants car, comme je vous l'ai dit, depuis huit ans, tout a été fait pour démanteler les moyens de l'État et affaiblir les forces de sécurité. D'autant que, depuis juillet 2007, les cartels mexicains se sont implantés au Guatemala (7). Si je n'avais pas remporté les élections en novembre 2007, je ne sais pas ce que serait devenu ce pays... Pa. D. - Pourtant, en 1996, au moment où les accords de paix avec la guérilla de l'URNG ont été signés (8), tous les espoirs semblaient permis. Que s'est-il passé ? A. C. - À la suite de ces accords, de 1997 à 2000, le niveau de la violence a baissé. La paix avait permis, en effet, de redéfinir les missions des forces de sécurité publique et de les déployer dans des zones confrontées à l'explosion du narcotrafic et du crime organisé. Le président Alvaro Arzu a réalisé un excellent travail durant son mandat (9). Il a notamment créé la nouvelle Police nationale civile (10). Avec l'élection d'Oscar Berger en 2004, le Guatemala a pris un nouveau tournant : non seulement les lois qui avaient été mises en place après les accords de paix ont cessé d'être appliquées, mais les forces armées et de police ont été considérablement réduites. Les accords de paix prévoyaient une armée de près de 40 000 hommes. Oscar Berger a ramené les effectifs à 15 000. Dans la région du Péten, qui est un haut lieu du narcotrafic, les militaires ont été purement et simplement retirés pour être déplacés sur la frontière avec le Belize ! Autant dire qu'ils ne servaient pas à grand-chose ! Cette année, nous sommes parvenus à reprendre le contrôle d'un corridor situé dans le nord du pays où, chaque semaine, atterrissaient clandestinement des avions chargés de drogue. En 2009, 1 690 kilos de cocaïne ont été saisis. Du coup, le trafic à destination des États-Unis emprunte de plus en plus la voie terrestre... Pa. D. - Quel est votre meilleur allié en Amérique centrale ? A. C. - Sur le plan économique, notre meilleur allié est incontestablement le Salvador. Il est notre premier marché (11). Nous avons également de bonnes relations avec le Panama et le président Martinelli. Quant au Honduras, c'est un peu plus compliqué. Comme vous le savez, le président Manuel Zelaya a été renversé par un coup d'État en juin 2009 (12) ; or l'Amérique centrale ne doit pas revenir aux années 1970 et aux coups de force contre les pouvoirs démocratiquement élus. Sur le plan personnel, j'ai d'excellentes relations avec le président de la République de Colombie, M. Alvaro Uribe, qui n'est pourtant pas un social-démocrate. Quant au président Lula, c'est un ami. Il a une véritable vision du continent latino-américain. Je m'entendais aussi très bien avec l'ancienne présidente du Chili, Mme Michelle Bachelet. Et, bien sûr, nous entretenons avec le Venezuela, l'Équateur et la Bolivie des rapports tout à fait cordiaux, bien que le Guatemala ne soit pas membre de l'ALBA (13). Pa. D. - Vous n'avez rien dit du Mexique... A. C. - Le Mexique occupe une place à part pour la bonne raison que nous partageons avec ce grand pays près de 1 000 kilomètres de frontières. Le président Calderon constitue un mélange politique étrange : il développe de grands projets sociaux, lutte contre le narcotrafic (14)... Pa. D. - À vos yeux, l'élection d'Obama a-t-elle changé les choses ? A. C. - Depuis l'élection de Barack Obama et le sommet de Trinité-et-Tobago …
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