Les Grands de ce monde s'expriment dans

LE NOUVEAU VISAGE DU RENSEIGNEMENT FRANCAIS

Pour coordonner l'activité des différents services de renseignements français, Nicolas Sarkozy a choisi un diplomate hors normes et atypique. Ce Lorrain de 61 ans, énarque discret qui ne fait presque jamais de déclarations publiques, parfait arabisant, est un spécialiste des affectations délicates et de la diplomatie de crise. Il était premier conseiller à Damas à la fin des années 1980, au moment où des Français ont été enlevés à Beyrouth. Après avoir été ambassadeur à Sarajevo et à Amman, il s'installe à Bagdad peu après l'intervention américaine de 2003. À l'époque, la France, qui s'était opposée à la guerre, n'était pas la bienvenue dans la capitale irakienne. Mais Bernard Bajolet se fait remarquer par sa connaissance très fine du monde arabe et ses méthodes de travail courageuses. Alors que les diplomates américains sont retranchés dans la « green zone », l'ambassadeur français se promène dans les rues de la ville. Il gère avec une grande ardeur, aux côtés de la DGSE, les affaires des journalistes français pris en otages. Il sera ensuite envoyé en poste en Algérie.Son franc-parler, sa connaissance du terrain, l'habitude des missions difficiles et une grande finesse intellectuelle : il fallait un homme qui sorte du lot pour faire appliquer l'une des principales réformes du Livre Blanc sur la défense initiées par le président de la République, celle du renseignement. L'idée principale était de mettre fin à la concurrence que se livraient les différents services. Clé de voûte du nouveau système, Bernard Bajolet fait connaître aux services les orientations décidées par l'Élysée et choisit les informations qui doivent remonter jusqu'au président. La tâche est loin d'être facile : Bernard Bajolet a dû asseoir son autorité face aux patrons des grands services français : la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) et la DRM (Direction du renseignement militaire).
I. L. Isabelle Lasserre - Monsieur Bajolet, pouvez-vous dresser un premier bilan de la réforme du renseignement initiée par Nicolas Sarkozy ?
Bernard Bajolet - La création en octobre 2007, peu après l'élection de Nicolas Sarkozy, d'une délégation parlementaire au renseignement a été une première étape très symbolique. Il s'agissait de combler une lacune dans notre système. En effet, la France était l'un des rares pays démocratiques où il n'existait aucune instance globale de contrôle du renseignement par le Parlement. Il y avait bien des commissions spécialisées auxquelles participaient des parlementaires, mais pas de structure générale. Une des idées centrales de cette réforme a consisté à placer davantage le renseignement sous le contrôle de l'autorité politique, c'est-à-dire du président de la République mais aussi du Parlement. Dans un deuxième temps, en juillet 2008, la fusion des RG (1) et de la DST (2) a été réalisée pour créer la DCRI (3). C'est une réforme dont on parlait depuis longtemps mais qui n'avait pas pu se réaliser jusqu'alors. Sans doute parce que le pouvoir politique trouvait plus commode d'avoir affaire à plusieurs services... ou se méfiait de l'idée d'un service unique au sein du ministère de l'Intérieur. Enfin, toujours en juillet 2008, le coordonnateur national du renseignement (CNR) a été nommé. Il a été doté d'une équipe légère, car le but n'était pas de refaire ce que les services faisaient déjà ni de se substituer à leurs activités opérationnelles, mais de les coordonner, de leur donner des impulsions. Mon rôle est aussi de faire remonter le renseignement et de sélectionner les informations qui doivent être portées à la connaissance du président de la République et du premier ministre.
I. L. - Comment faites-vous le tri entre les informations ? Comment se passent les arbitrages ?
B. B. - Les services produisent des notes et sont libres de décider à qui les transmettre. Je n'ai pas modifié cette organisation : mon idée, comme je viens de le dire, n'était pas de changer les circuits existants mais d'apporter une valeur ajoutée. En plus de ces notes, les services nous fournissent des informations correspondant aux besoins que nous exprimons, en fonction de l'intérêt manifesté par le président. Nous leur passons donc parfois des commandes. Je dois aussi solliciter des services plus petits comme la DRM (4) - qui ont moins l'habitude de produire des analyses car ils sont surtout dans l'opérationnel - afin qu'ils me rendent compte de ce qu'ils font. Mon rôle n'est pas d'imposer mon tempo aux autres mais de valoriser leur travail en préservant les « droits d'auteurs ». Autrefois, certains de ces renseignements parvenaient au président et au premier ministre, mais pas de façon systématique : les interlocuteurs destinataires des notes ne les faisaient en effet pas toujours remonter jusqu'au sommet. C'est cela qui a changé. Je reçois la totalité de la production des services et m'assure que tout ce qui doit remonter au plus haut niveau y remonte effectivement. La diffusion globale des notes n'a pas changé sauf pour le président …