Les Grands de ce monde s'expriment dans

REFLEXIONS D'UN GRAND EUROPEEN

Olivier Guez - Monsieur le Chancelier, vos livres se vendent à des centaines de milliers d'exemplaires, vous occupez largement la scène médiatique et vous êtes, de très loin, l'homme politique le plus populaire d'Allemagne. Comment expliquez-vous votre succès ?
Helmut Schmidt - Ce n'est pas à moi de l'expliquer. C'est à vous ! Je crois qu'au-delà de ma personne, en Allemagne comme dans toute l'Europe, les gens sont un peu déçus par la politique et par leurs dirigeants. Ils ont tendance à se tourner vers de vieux messieurs à cheveux blancs qui leur inspirent davantage confiance. L'ancien président von Weizsäcker, qui vient de fêter ses 90 ans, est lui aussi très populaire.
O. G. - Vos collègues de la Zeit, le grand hebdomadaire hambourgeois, votre éditeur et certains de vos amis m'ont dit que, malgré votre âge, vous demeurez un bourreau de travail. Est-ce le secret de votre remarquable longévité ? Ou sont-ce les cigarettes que vous continuez de fumer inlassablement ?
H. S. - Oui, c'est vrai, je suis comme un cheval de trait, une bête de somme, en quelque sorte ! Je suis persuadé que si je suis encore vivant aujourd'hui, c'est grâce au travail. Ma femme, qui a elle aussi toujours beaucoup travaillé, y est évidemment pour quelque chose... Mes journées ne sont guère différentes de ce qu'elles étaient il y a quarante ans. Je me lève en général très tard, vers 9 heures, 9 heures et demie. Tous les jours ou presque je me rends à mon bureau, au journal, vers 11 heures. Je rentre chez moi vers 17-18 heures et je me remets au travail avant le dîner. Puis mon épouse se couche vers 22 heures et moi je continue de travailler jusqu'à 1 heure du matin, voire 2 heures et demie certaines nuits.
O. G. - Et que faites-vous jusqu'à cette heure tardive ? Entretenez-vous une abondante correspondance ? Il paraît que vous répondez systématiquement à tout votre courrier !
H. S. - Non, j'écris peu de lettres et elles sont assez courtes. L'art épistolaire a connu son heure de gloire au XIXe siècle ! Plus personne n'écrit de longues missives de nos jours. Non, en général, je prépare mes interventions publiques - nombreuses -, mes articles et mes livres, même si j'ai un peu levé le pied l'an dernier suite à des problèmes de santé. Et, surtout, je lis beaucoup.
O. G. - Que lisez-vous ?
H. S. - De nombreux journaux, environ 7 à 8 quotidiens allemands - la Frankfurter Allgemeine Zeitung, la Süddeutsche Zeitung, la Bild Zeitung... - et de langue anglaise, notamment le Herald Tribune, bien que sa qualité ait baissé depuis qu'il est devenu un digest du New York Times, et le Financial Times. Une collaboratrice me sélectionne par ailleurs les meilleurs articles parus dans les magazines. Chaque jour, je reçois la revue de presse des ambassadeurs d'Allemagne à Pékin, Moscou, Washington, Prague, Paris et Varsovie. Je lis aussi beaucoup de livres, mais des essais seulement car je n'ai …