D'un choc frontal à l'autre
L'emblème Nuamthong
Le 30 septembre 2006, onze jours après le coup d'État militaire qui avait renversé le premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra, Nuamthong Phraiwan, un chauffeur de taxi, a lancé sa voiture à pleine vitesse contre l'un des chars d'assaut positionnés sur l'avenue Rajdamnoen Nok, dans le quartier historique de Bangkok. La vitesse du véhicule, obligé de négocier une chicane avant de foncer sur le tank, n'était pas suffisante pour atteindre le but du conducteur : se tuer en fracassant son taxi sur le blindé. « Oncle Nuamthong » (on appelle habituellement « oncle » les hommes âgés d'une cinquantaine d'années) s'en est sorti avec cinq côtes cassées. Choc frontal. Métal contre métal. Les classes modestes du pays contre l'État symbolisé par le monstre d'acier. Quelques jours plus tard, un colonel de la junte qui s'est emparée du pouvoir a jeté le doute sur le « sérieux » de l'acte d'Oncle Nuamthong en affirmant qu'aucun Thaïlandais « ne sacrifierait sa vie pour la démocratie ». Mais dans la note rédigée avant son suicide par pendaison un mois après l'incident, Nuamthong a écrit : « Mieux vaut mourir que d'accepter le mépris (...). Je sacrifie ma vie, pour être là-bas avec les héros qui ont sacrifié la leur pour établir une société démocratique en Thaïlande. »
En avril-mai 2010, un choc frontal similaire s'est produit. Il a opposé l'armée, agissant sur l'ordre du gouvernement, aux milliers de manifestants surnommés les « Chemises Rouges », établis depuis cinq semaines dans le coeur commercial de Bangkok et aux yeux desquels Oncle Nuamthong est devenu un héros. Les affrontements ont fait 88 morts et 1 900 blessés. C'est l'un des bilans les plus lourds de l'histoire récente de la Thaïlande (les seuls équivalents sont les massacres de la mosquée Kruzé en avril 2004 et de Tak Bai en octobre 2004, dans le sud à majorité musulmane du pays, perpétrés par l'armée sur l'ordre du premier ministre d'alors, Thaksin Shinawatra).
Les événements d'avril-mai 2010 marquent un tournant de l'histoire thaïlandaise. Devant les corps des manifestants alignés dans la pagode Pathum Wanaram, devant les officiers et les soldats brutalement tués le 10 avril, devant les carcasses fumantes des complexes commerciaux et des bâtiments publics du centre-ville, les Thaïlandais s'interrogent. Comment cette société qui met l'accent sur l'harmonie et s'enorgueillit de sa stabilité politique (dans une région en proie à des soubresauts fréquents) en est-elle arrivée là ? Et surtout, comment peut-elle émerger de cette épreuve plus forte et plus démocratique, et jeter les bases d'un nouveau contrat social susceptible de remplacer le vieux consensus national qui a volé en éclats ? Bien évidemment, il n'existe pas de réponses simples.
Thaksin, l'homme providentiel
Le traumatisme s'est amorcé au début du gouvernement de Thaksin Shinawatra (2001-2006). Le 3 août 2001, la Cour constitutionnelle, contre toute logique juridique, a acquitté le premier ministre élu huit mois plus tôt, qui avait dissimulé une grande partie de son patrimoine lors de sa déclaration publique au moment …
L'emblème Nuamthong
Le 30 septembre 2006, onze jours après le coup d'État militaire qui avait renversé le premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra, Nuamthong Phraiwan, un chauffeur de taxi, a lancé sa voiture à pleine vitesse contre l'un des chars d'assaut positionnés sur l'avenue Rajdamnoen Nok, dans le quartier historique de Bangkok. La vitesse du véhicule, obligé de négocier une chicane avant de foncer sur le tank, n'était pas suffisante pour atteindre le but du conducteur : se tuer en fracassant son taxi sur le blindé. « Oncle Nuamthong » (on appelle habituellement « oncle » les hommes âgés d'une cinquantaine d'années) s'en est sorti avec cinq côtes cassées. Choc frontal. Métal contre métal. Les classes modestes du pays contre l'État symbolisé par le monstre d'acier. Quelques jours plus tard, un colonel de la junte qui s'est emparée du pouvoir a jeté le doute sur le « sérieux » de l'acte d'Oncle Nuamthong en affirmant qu'aucun Thaïlandais « ne sacrifierait sa vie pour la démocratie ». Mais dans la note rédigée avant son suicide par pendaison un mois après l'incident, Nuamthong a écrit : « Mieux vaut mourir que d'accepter le mépris (...). Je sacrifie ma vie, pour être là-bas avec les héros qui ont sacrifié la leur pour établir une société démocratique en Thaïlande. »
En avril-mai 2010, un choc frontal similaire s'est produit. Il a opposé l'armée, agissant sur l'ordre du gouvernement, aux milliers de manifestants surnommés les « Chemises Rouges », établis depuis cinq semaines dans le coeur commercial de Bangkok et aux yeux desquels Oncle Nuamthong est devenu un héros. Les affrontements ont fait 88 morts et 1 900 blessés. C'est l'un des bilans les plus lourds de l'histoire récente de la Thaïlande (les seuls équivalents sont les massacres de la mosquée Kruzé en avril 2004 et de Tak Bai en octobre 2004, dans le sud à majorité musulmane du pays, perpétrés par l'armée sur l'ordre du premier ministre d'alors, Thaksin Shinawatra).
Les événements d'avril-mai 2010 marquent un tournant de l'histoire thaïlandaise. Devant les corps des manifestants alignés dans la pagode Pathum Wanaram, devant les officiers et les soldats brutalement tués le 10 avril, devant les carcasses fumantes des complexes commerciaux et des bâtiments publics du centre-ville, les Thaïlandais s'interrogent. Comment cette société qui met l'accent sur l'harmonie et s'enorgueillit de sa stabilité politique (dans une région en proie à des soubresauts fréquents) en est-elle arrivée là ? Et surtout, comment peut-elle émerger de cette épreuve plus forte et plus démocratique, et jeter les bases d'un nouveau contrat social susceptible de remplacer le vieux consensus national qui a volé en éclats ? Bien évidemment, il n'existe pas de réponses simples.
Thaksin, l'homme providentiel
Le traumatisme s'est amorcé au début du gouvernement de Thaksin Shinawatra (2001-2006). Le 3 août 2001, la Cour constitutionnelle, contre toute logique juridique, a acquitté le premier ministre élu huit mois plus tôt, qui avait dissimulé une grande partie de son patrimoine lors de sa déclaration publique au moment …
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