Entretien avec
Juan Manuel Santos, Président de la Colombie
par
la Rédaction de Politique Internationale
n° 128 - Été 2010
Politique Internationale - Monsieur le Président, votre élection ouvre un nouveau chapitre de l'histoire de la Colombie. Quelles seront vos priorités ? Juan Manuel Santos - Ma présidence se donne deux objectifs fondamentaux. Tout d'abord, préserver et consolider la sécurité et la tranquillité des Colombiens : une quiétude obtenue de haute lutte, après des années d'efforts, par mon prédécesseur, Alvaro Uribe ! Ensuite, mettre en oeuvre une politique centrée sur la création d'emplois. Le taux de chômage est de 12 %. C'est inacceptable ! Les emplois que nous allons créer seront mieux payés et mieux protégés par la loi. C'est ce que demandent les Colombiens. C'est ce pour quoi ils ont voté. Le symbole des deux mandats du président Uribe a été la Sécurité démocratique (1). Pour ma part, je veux que l'on se souvienne de moi comme du président qui a donné du travail aux Colombiens. P. I. - Quelles sont les premières mesures que vous allez prendre en ce sens ? J. M. S. - Nous avons décidé de mettre l'accent sur cinq secteurs que je considère comme les « locomotives » de l'éco-nomie : les infrastructures ; le logement ; l'agriculture ; l'industrie minière ; et l'innovation. Concrètement, nous mettrons en oeuvre dès mon entrée en fonctions trois programmes de choc visant à créer des emplois : Emploi en action (Empleo en Acción), qui générera immédiatement des emplois en raison du lancement de grands projets utiles au pays ; Jeunes en action, qui permettra aux jeunes ayant peu de moyens d'accéder aux métiers techniques et à des stages dans des entreprises, lesquelles pourront ensuite les embaucher ; et Femmes en action, destiné à en finir avec la discrimination professionnelle des femmes et à favoriser leur entrée dans le monde du travail. Par surcroît, nous soutiendrons financièrement les entreprises qui créent des emplois stables et nous faciliterons la naissance de nouvelles entreprises en réduisant les formalités administratives au cours des trois premières années de leur existence. Grâce à ces outils, nous pensons créer au moins deux millions et demi de nouveaux emplois et stabiliser un demi-million de postes qui sont, aujourd'hui, précaires. À la fin de mon mandat, le taux de chômage devra être inférieur à 9 %. P. I. - En quelques mots, quelles seront vos priorités en matière de politique intérieure et extérieure ? J. M. S. - En matière de politique intérieure, nous désignerons ce que j'appelle un gouvernement d'union nationale qui regroupera des forces citoyennes et politiques autour d'un « Grand accord national pour la prospérité ». Pendant la campagne, je me suis engagé à tenir compte des meilleures propositions des autres candidats et c'est exactement ce que je ferai. Ne serait-ce que parce que j'estime avoir une dette envers les citoyens d'autres sensibilités politiques que celle du Parti de la U (2) qui ont fait confiance à notre programme ! Pour ce qui concerne la politique extérieure, l'une de mes priorités sera la normalisation des relations avec l'Équateur et le Venezuela. Je ne vous apprends rien en disant que nous avons un certain nombre de désaccords avec ces pays voisins ! Nous devrons d'autant plus faire preuve de diplomatie et de prudence. Je tiens à souligner que je n'éprouve que du respect, de l'admiration et de l'affection pour les peuples vénézuélien et équatorien. Je suis fier d'avoir été, en tant que ministre du Commerce extérieur, l'un des architectes de l'intégration commerciale qui a ouvert sur le monde les marchés de l'Équateur et du Venezuela. Cette ouverture, j'en suis convaincu, a été très bénéfique pour les trois pays. P. I. - Quel bilan faites-vous de la présidence d'Alvaro Uribe ? Quels ingrédients de sa politique pensez-vous conserver ? Et lesquels pensez-vous corriger, voire abandonner ? J. M. S. - Les Colombiens - et le monde entier - reconnaissent les succès du président Uribe. En arrivant au pouvoir en 2002, il a hérité d'un pays en flammes ; et ce 7 août, quand il quittera le pouvoir, il laissera un pays sain et sauf. N'est-ce pas digne d'éloges ? Les Colombiens ont compris que nous devions préserver cet héritage. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'ils m'ont élu ! Je profite de cet entretien pour répéter que je ne ferai pas un pas en arrière en ce qui concerne la Sécurité démocratique - un programme que j'ai contribué à mettre en oeuvre quand j'étais ministre de la Défense. Nous continuerons de combattre les groupes armés illégaux et les trafiquants de drogue jusqu'à leur démobilisation... ou jusqu'à leur éradication totale. Quant à la seconde partie de votre question, je répondrai qu'il y a effectivement certaines choses à corriger et à améliorer. Je pense, en particulier, au système de santé. Le gouvernement du président Alvaro Uribe a fait un bond historique sur la couverture santé ; il nous revient à présent d'améliorer la qualité des services de santé, d'accorder une attention particulière aux plus pauvres et de mettre l'accent sur la prévention. Nous ferons de même avec l'éducation, en encourageant le bilinguisme de nos enfants et en offrant aux étudiants les plus pauvres des bourses sous la forme de crédits à long terme et à taux zéro. P. I. - Parlons, précisément, de la politique de « Sécurité démocratique ». Quel en est le bilan chiffré ? Combien de guérilleros, paramilitaires et otages y avait-il en Colombie au début et à la fin du gouvernement d'Alvaro Uribe, et quels sont vos objectifs sur ce dossier ? J. M. S. - À l'arrivée de l'équipe Uribe, en 2002, près de 30 000 membres des FARC et de l'ELN, et près de 20 000 paramilitaires étaient actifs en Colombie. Chaque année, les enlèvements se comptaient par milliers. Aujourd'hui, grâce à l'application de la politique de Sécurité démocratique, les guérilleros sont moins de 10 000, le paramilitarisme n'existe plus, tous les principaux meneurs sont en prison (en Colombie ou aux États-Unis) et le nombre d'enlèvements par an n'atteint pas la centaine. Convenez que ces chiffres parlent d'eux-mêmes ! Il est vrai, …
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