Entretien avec
René Preval, Président d'Haïti depuis 2006.
par
Guyonne de Montjou, Journaliste
n° 128 - Été 2010
Guyonne de Montjou - Monsieur le Président, 400 camps de tentes sont installés à Port-au-Prince depuis le séisme. Comment gérez-vous la situation ? René Préval - Vous savez, 300 000 morts à enterrer en quelques jours, c'est beaucoup. 400 000 blessés à soigner, c'est immense. 1 million et demi de personnes dans la rue, c'est gigantesque... Heureusement, nous avons reçu une aide internationale importante ! Il fallait fournir de l'eau, de la nourriture et des tentes à ces gens qui étaient dans la rue. Aujourd'hui, tout le monde a des tentes, mais celles-ci sont souvent « surchargées ». Cette vie est difficilement supportable. Je sais de quoi je parle : chez moi, depuis que la maison s'est effondrée, mes filles vivent, elles aussi, sous des abris de fortune. C'est vrai, la ville se situe sur une faille ; et il est vrai, aussi, qu'un nouveau tremblement de terre peut survenir à n'importe quel moment. Pis : la prochaine fois, l'épicentre peut se trouver exactement sous la capitale ! Il n'empêche que je crois qu'on peut reconstruire ici, à condition de bâtir correctement. Regardez ce qui s'est produit au Japon ou au Chili après les tremblements de terre qui s'y sont produits : on y a reconstruit des villes entières, en respectant des normes anti-sismiques draconiennes. Nous devons faire de même. G. M. - Que proposez-vous aux 40 000 déplacés qui se trouvent en ce moment dans des zones dangereuses et inondables (3) ? R. P. - Nous essayons d'encourager les gens à retourner chez eux si leur maison tient encore debout. Mais ils ont peur de se trouver dans un bâtiment en ciment. Alors, on tente de leur proposer d'autres camps, montés un peu plus loin, sur des zones stables. Le problème, c'est que la plupart d'entre eux ne veulent pas s'éloigner de leur quartier. Car c'est là qu'ils vivent, qu'ils ont leurs amis, leurs parents, parfois leur travail. Ils préfèrent encore se débrouiller dans leur environnement familier. Nous leur proposons du « cash for work » (4) pour déblayer et installer peu à peu des abris de transition sur les lieux sinistrés. G. M. - Ne craignez-vous pas que le provisoire devienne définitif ? R. P. - Lorsque la population vit sous des tentes, elle n'est pas dans des conditions de vie normales. Il ne faut pas que cette situation perdure. Or tant qu'on continuera à aider les gens dans les camps, ceux-ci ne se désengorgeront pas. G. M. - Précisément, allez-vous cesser de les aider afin qu'ils quittent les camps ? R. P. - Je n'ai pas dit cela. Je crois qu'il faut encore accompagner la population. Mais l'aide n'a qu'un temps. Ne perdons pas de vue l'objectif essentiel, qui est de créer des emplois pour que les habitants puissent se payer les biens et les services qu'ils désirent. G. M. - Les gens ne s'ennuient-ils pas dans ces camps de toile, sans travail ? R. P. - Peut-être ! Mais ils ne travaillaient pas davantage avant ! N'oubliez pas que, même avant le séisme, Haïti était déjà un pays en difficulté (5). Il est incontestable que ce qu'il nous faut en premier lieu, ce sont des investissements productifs qui permettront à notre économie de repartir. G. M. - Dans un pays où tout est à faire, il semble paradoxal de voir une telle force de travail inemployée. Avez-vous trouvé une idée géniale pour les occuper ? R. P. - Je ne sais pas si c'était une idée « géniale », mais j'avais proposé à Bill Clinton de faire confectionner, dans nos camps de réfugiés, des bracelets et des objets divers - notamment des petits tableaux - pour les revendre sur le marché américain au lieu de demander aux citoyens des États-Unis de faire des dons... Les bénéfices seraient revenus directement aux gens qui vivent en ce moment dans les camps. Malheureusement, ce projet n'a pas pu être mené à bien. G. M. - Les acteurs humanitaires proposent parfois des solutions « clés en main » aux habitants (distribution de nourriture, relogement, etc.). Ne redoutez-vous pas que le désir de s'en sortir - ce qu'on appelle la « résilience » - des Haïtiens soit « asphyxié » par l'abondance de l'aide internationale ? R. P. - La vérité est plus simple que cela : nous avons, bien évidemment, besoin de l'aide internationale. Mais à partir d'un certain seuil, il vaut mieux stimuler l'économie haïtienne en achetant des produits haïtiens que recourir systématiquement à l'aide étrangère. G. M. - L'arrivée de l'aide internationale a-t-elle, selon vous, encore affaibli l'économie haïtienne ? R. P. - Je le répète : cette aide était indispensable. Il n'empêche que ces produits viennent naturellement concurrencer la production haïtienne. Par exemple, on a fait venir de l'eau, à grands frais, de l'étranger. Or il y a de bons producteurs d'eau en Haïti (6). Dans les premiers temps, pendant un mois, un mois et demi, ces acheminements d'eau se justifiaient. Ensuite, non ! Mais je crois que le PAM (7) a fini par s'adapter : à présent, il achète de plus en plus de produits haïtiens. Et l'on peut dire que nous sommes enfin entrés dans la phase où l'on encourage les gens à travailler pour qu'ils aient de quoi acheter eux-mêmes ce dont ils ont besoin. G. M. - Vous avez au moins 100 000 maisons à reconstruire. Voilà qui va certainement créer de nombreux emplois... R. P. - Bien sûr. Par surcroît, une nouvelle dynamique est à l'oeuvre. De nombreux investisseurs venaient déjà prospecter avant le 12 janvier. Ils étaient encouragés, notamment, par la loi HOPE (8), votée à Washington, qui a été élargie et est devenue, aujourd'hui, la loi HELP. G. M. - Vous semblez dire que seuls les États-Unis proposent des mesures intéressantes pour l'économie du pays... Quid de l'Europe ? R. P. - Je pense que tout le monde a sa place ; chaque pays de bonne volonté dispose d'un créneau lui permettant de prendre part à la reconstruction d'Haïti. Mais …
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