Entretien avec
Bernard Bajolet, Coordonnateur national du renseignement auprès du président de la République depuis 2008.
par
Isabelle Lasserre, chef adjointe du service Étranger du Figaro
n° 128 - Été 2010
Isabelle Lasserre - Monsieur Bajolet, pouvez-vous dresser un premier bilan de la réforme du renseignement initiée par Nicolas Sarkozy ? Bernard Bajolet - La création en octobre 2007, peu après l'élection de Nicolas Sarkozy, d'une délégation parlementaire au renseignement a été une première étape très symbolique. Il s'agissait de combler une lacune dans notre système. En effet, la France était l'un des rares pays démocratiques où il n'existait aucune instance globale de contrôle du renseignement par le Parlement. Il y avait bien des commissions spécialisées auxquelles participaient des parlementaires, mais pas de structure générale. Une des idées centrales de cette réforme a consisté à placer davantage le renseignement sous le contrôle de l'autorité politique, c'est-à-dire du président de la République mais aussi du Parlement. Dans un deuxième temps, en juillet 2008, la fusion des RG (1) et de la DST (2) a été réalisée pour créer la DCRI (3). C'est une réforme dont on parlait depuis longtemps mais qui n'avait pas pu se réaliser jusqu'alors. Sans doute parce que le pouvoir politique trouvait plus commode d'avoir affaire à plusieurs services... ou se méfiait de l'idée d'un service unique au sein du ministère de l'Intérieur. Enfin, toujours en juillet 2008, le coordonnateur national du renseignement (CNR) a été nommé. Il a été doté d'une équipe légère, car le but n'était pas de refaire ce que les services faisaient déjà ni de se substituer à leurs activités opérationnelles, mais de les coordonner, de leur donner des impulsions. Mon rôle est aussi de faire remonter le renseignement et de sélectionner les informations qui doivent être portées à la connaissance du président de la République et du premier ministre. I. L. - Comment faites-vous le tri entre les informations ? Comment se passent les arbitrages ? B. B. - Les services produisent des notes et sont libres de décider à qui les transmettre. Je n'ai pas modifié cette organisation : mon idée, comme je viens de le dire, n'était pas de changer les circuits existants mais d'apporter une valeur ajoutée. En plus de ces notes, les services nous fournissent des informations correspondant aux besoins que nous exprimons, en fonction de l'intérêt manifesté par le président. Nous leur passons donc parfois des commandes. Je dois aussi solliciter des services plus petits comme la DRM (4) - qui ont moins l'habitude de produire des analyses car ils sont surtout dans l'opérationnel - afin qu'ils me rendent compte de ce qu'ils font. Mon rôle n'est pas d'imposer mon tempo aux autres mais de valoriser leur travail en préservant les « droits d'auteurs ». Autrefois, certains de ces renseignements parvenaient au président et au premier ministre, mais pas de façon systématique : les interlocuteurs destinataires des notes ne les faisaient en effet pas toujours remonter jusqu'au sommet. C'est cela qui a changé. Je reçois la totalité de la production des services et m'assure que tout ce qui doit remonter au plus haut niveau y remonte effectivement. La diffusion globale des notes n'a pas changé sauf pour le président et pour le premier ministre, qui désormais reçoivent de manière systématique toutes les informations correspondant à leur niveau de responsabilité. I. L. - Vous qui vous trouvez au carrefour de tous ces services de renseignements, qu'est-ce qui vous inquiète le plus ? Quels sont les principaux dossiers sur lesquels vous travaillez ? B. B. - En premier lieu, la menace terroriste - aussi bien celle qui pèse sur notre sol que celle susceptible de viser nos intérêts et nos ressortissants à l'étranger. Ensuite, les activités de prolifération ; la criminalité organisée ; les activités d'espionnage ; les tentatives d'ingérence économique sur notre sol. Ce sont les principales menaces. Il existe une autre catégorie de renseignements : celle qui porte sur l'actualité internationale. La situation intérieure d'un pays peut, à un moment donné, affecter nos intérêts ou un dossier international important comme le processus de paix au Moyen-Orient. Les services de renseignements sont une source d'information tout à fait indispensable pour nos dirigeants et pour l'exercice de la souveraineté de la France. Mais les sources fermées (5) ne sont pas l'unique source du renseignement. Sur certaines affaires, les sources ouvertes peuvent représenter jusqu'à 80 % des informations. Il y a également les informations provenant des ministères (Affaires étrangères, Défense, Intérieur) ou celles que les dirigeants obtiennent grâce à leurs contacts personnels - les confidences entre chefs d'État, par exemple. Le renseignement contribue donc à l'information de nos hauts dirigeants - et c'est mon rôle de faire en sorte qu'il y contribue le mieux possible -, mais il est une source parmi d'autres. I. L. - Le renseignement français est-il au niveau sur ces grands dossiers internationaux, sur l'Afghanistan par exemple ? B. B. - On ne sait jamais assez de choses. D'une façon générale, nos services travaillent bien. Mais nous pourrions faire des progrès en matière de synthèse ; c'est un domaine qui ne me donne pas encore tout à fait satisfaction. Les pays ont des modèles différents. Au Royaume-Uni, c'est le JIC (Joint intelligence committee), un organisme assez important (6), qui fournit les synthèses au premier ministre, car les services eux-mêmes ne le font pas. Les synthèses du JIC combinent les sources ouvertes, celles des services et les informations gouvernementales. Autre exemple : en Australie, l'ONA (Office of national assessment) est un organisme qui travaille pour le gouvernement mais fait ses synthèses de manière totalement autonome, ce qui est assez original. I. L. - Ce sont les Français qui ont découvert le site clandestin de Qom (7). Nos services ont la réputation d'être très performants sur le dossier de l'Iran. Avons-nous d'autres domaines d'excellence ? B. B. - Nos services sont globalement performants sur toute la zone du Proche et du Moyen-Orient, comme d'ailleurs sur l'ensemble de l'arc de crise et l'Afrique. Cela est dû à la connaissance approfondie de la culture des pays concernés que notre histoire nous a permis d'acquérir, ainsi qu'aux nombreux intérêts qui nous lient à eux. En revanche, sur d'autres zones également importantes pour nos …
Ce site est en accès libre. Pour lire la suite, il vous suffit de vous inscrire.
J'ai déjà un compte
M'inscrire
Celui-ci sera votre espace privilégié où vous pourrez consulter à tout moment :
Historiques de commandes
Liens vers les revues, articles ou entretiens achetés