Entretien avec
Helmut Schmidt, Editeur et chroniqueur à l'hebdomadaire Die Zeit.
par
Olivier Guez, Journaliste à La Tribune
n° 128 - Été 2010
Olivier Guez - Monsieur le Chancelier, vos livres se vendent à des centaines de milliers d'exemplaires, vous occupez largement la scène médiatique et vous êtes, de très loin, l'homme politique le plus populaire d'Allemagne. Comment expliquez-vous votre succès ? Helmut Schmidt - Ce n'est pas à moi de l'expliquer. C'est à vous ! Je crois qu'au-delà de ma personne, en Allemagne comme dans toute l'Europe, les gens sont un peu déçus par la politique et par leurs dirigeants. Ils ont tendance à se tourner vers de vieux messieurs à cheveux blancs qui leur inspirent davantage confiance. L'ancien président von Weizsäcker, qui vient de fêter ses 90 ans, est lui aussi très populaire. O. G. - Vos collègues de la Zeit, le grand hebdomadaire hambourgeois, votre éditeur et certains de vos amis m'ont dit que, malgré votre âge, vous demeurez un bourreau de travail. Est-ce le secret de votre remarquable longévité ? Ou sont-ce les cigarettes que vous continuez de fumer inlassablement ? H. S. - Oui, c'est vrai, je suis comme un cheval de trait, une bête de somme, en quelque sorte ! Je suis persuadé que si je suis encore vivant aujourd'hui, c'est grâce au travail. Ma femme, qui a elle aussi toujours beaucoup travaillé, y est évidemment pour quelque chose... Mes journées ne sont guère différentes de ce qu'elles étaient il y a quarante ans. Je me lève en général très tard, vers 9 heures, 9 heures et demie. Tous les jours ou presque je me rends à mon bureau, au journal, vers 11 heures. Je rentre chez moi vers 17-18 heures et je me remets au travail avant le dîner. Puis mon épouse se couche vers 22 heures et moi je continue de travailler jusqu'à 1 heure du matin, voire 2 heures et demie certaines nuits. O. G. - Et que faites-vous jusqu'à cette heure tardive ? Entretenez-vous une abondante correspondance ? Il paraît que vous répondez systématiquement à tout votre courrier ! H. S. - Non, j'écris peu de lettres et elles sont assez courtes. L'art épistolaire a connu son heure de gloire au XIXe siècle ! Plus personne n'écrit de longues missives de nos jours. Non, en général, je prépare mes interventions publiques - nombreuses -, mes articles et mes livres, même si j'ai un peu levé le pied l'an dernier suite à des problèmes de santé. Et, surtout, je lis beaucoup. O. G. - Que lisez-vous ? H. S. - De nombreux journaux, environ 7 à 8 quotidiens allemands - la Frankfurter Allgemeine Zeitung, la Süddeutsche Zeitung, la Bild Zeitung... - et de langue anglaise, notamment le Herald Tribune, bien que sa qualité ait baissé depuis qu'il est devenu un digest du New York Times, et le Financial Times. Une collaboratrice me sélectionne par ailleurs les meilleurs articles parus dans les magazines. Chaque jour, je reçois la revue de presse des ambassadeurs d'Allemagne à Pékin, Moscou, Washington, Prague, Paris et Varsovie. Je lis aussi beaucoup de livres, mais des essais seulement car je n'ai malheureusement pas de temps à consacrer à la littérature, sauf pendant mes congés. O. G. - Et quels livres avez-vous lus récemment ? H. S. - Je suis en train de finir un ouvrage sur les relations germano-polonaises. La semaine passée, j'ai terminé un livre passionnant sur le bouddhisme. O. G. - Au cours de votre très longue carrière politique, depuis votre entrée au Bundestag en 1953 jusqu'à aujourd'hui, quels sont les dirigeants politiques, allemands comme étrangers, qui vous ont le plus marqué ? H. S. - Il y a des personnages historiques incontournables, des visionnaires, des hommes très courageux comme Franklin Roosevelt, Winston Churchill, Charles de Gaulle, Jean Monnet ou George Marshall. Et puis il y a ceux que j'ai côtoyés personnellement et dont certains sont devenus des amis. Je pense, bien sûr, à Valéry Giscard d'Estaing ou à Anouar el-Sadate. En Asie, j'ai été très marqué par Deng Xiaoping, le fondateur de la Chine moderne, et par Lee Kuan Yew, l'ancien premier ministre de Singapour. Et en Allemagne, par Adenauer, par Ernst Reuter, qui fut maire de Berlin pendant le blocus de la ville par les Soviétiques en 1948, et par Willy Brandt naturellement. O. G. - Vos relations avec ce dernier n'ont pas toujours été faciles... H. S. - Pour Willy Brandt, j'aurais été prêt à me couper un bras jusqu'au début des années 1970 ! Comme Obama aujourd'hui, Willy était un homme de grandes convictions ainsi qu'un orateur charismatique. Cependant, son traitement de certaines questions économiques, sociales et, plus encore, de sécurité était à mes yeux trop idéaliste et insuffisamment pragmatique. Nous avons été plusieurs fois en désaccord par la suite. Cependant, avant sa mort en 1992, nous sommes redevenus amis, à ma plus grande joie. O. G. - Regrettez-vous certaines décisions que vous avez prises en tant que chancelier ? H. S. - Non, aucune. O. G. - Vous ne vous êtes jamais senti coupable après l'assassinat de Hans Martin Schleyer, le patron des patrons allemands, à l'automne 1977 ? H. S. - Après son enlèvement par la Fraction armée rouge, j'avais conscience d'être partie prenante d'une tragédie. Quelle qu'eût été mon attitude dans cette affaire, j'aurais eu tort d'une manière ou d'une autre. Si j'avais négocié sa libération, les enlèvements et le chantage de la RAF auraient continué et les intérêts et la sécurité de l'État auraient été menacés. O. G. - L'Allemagne est devenue une grande démocratie grâce à des gens comme vous. Êtes-vous fier du parcours de votre pays depuis la guerre ? H. S. - L'Allemagne est, en effet, une démocratie plutôt normale. Mais il n'y a pas de raison d'en être particulièrement fier. O. G. - Vous disiez que les Allemands étaient déçus par leur classe politique. Vous-même, qu'en pensez-vous ? Comment jugez-vous la chancelière Merkel ? H. S. - Voyez-vous, j'essaie de me tenir le plus possible à l'écart de la politique intérieure allemande depuis mon départ de la chancellerie, il y aura bientôt 28 ans. O. G. - …
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