Les Grands de ce monde s'expriment dans

ISRAEL-PALESTINE : LA CONFIANCE COMME RECETTE

Depuis près d'un an, chaque vendredi matin, Avraham Burg quitte son petit village de Nataf, niché au milieu des collines de pinèdes, à une encablure de Jérusalem, pour rejoindre les manifestants israéliens et palestiniens rassemblés dans le quartier arabe de Sheikh Jarrah, dans la partie est de la Ville sainte. Il y retrouve l'écrivain David Grossman ou la présidente de l'organisation New Israel Fund, Naomi Chazan, pour protester contre l'expulsion de leurs maisons de deux familles arabes. Expulsion ordonnée l'an dernier par la Cour suprême israélienne, le dernier recours judiciaire dans le pays. Avraham Burg est un activiste qui ne rechigne pas à se montrer sur le terrain chaque fois que ses convictions l'y encouragent. Sa haute stature de marathonien infatigable comme son passé familial et personnel lui donnent une légitimité qui impose le respect. Après s'être sérieusement investi en politique puis s'en être retiré pour « coller davantage à la vérité » selon ses propres mots, il vient de lancer l'idée d'un nouveau parti, Shivyon (Égalité en hébreu), qui rassemblerait Juifs et Arabes et se concentrerait sur l'égalité sociale. La plate-forme du parti est actuellement en cours d'élaboration et a déjà reçu le soutien de plusieurs personnalités politiques.
Né en 1955, Avraham Burg est le fils de deux survivants : son père, Yosef Burg, a quitté Berlin en 1939 pour émigrer en Palestine mandataire ; sa mère, descendante d'une longue lignée de Juifs installés à Hébron, a réchappé au massacre de la communauté juive de cette ville lors des émeutes arabes de 1929. La chose publique, Avraham Burg y est plongé depuis l'enfance, son père ayant été ministre dans tous les gouvernements israéliens de 1951 à 1986. Yosef Burg, qui a suivi dans sa jeunesse des études religieuses, a été l'un des fondateurs du Parti national religieux, aujourd'hui principal mouvement politique soutenant la colonisation en Cisjordanie. Il a légué à Avraham son goût pour la politique, les idées humanistes et l'intérêt pour la religion. Mais le père et le fils divergent quant à la manière de vivre le sionisme dans le monde contemporain.
Burg-fils présente la particularité d'être un religieux pratiquant qui s'est investi dans l'aile gauche de l'échiquier politique. C'est avec Shimon Pérès, dont il est devenu en 1985 l'un des conseillers personnels, qu'il a fait ses premières classes, avant de se présenter à la Knesset sur la liste du parti travailliste en 1988. Sept ans plus tard, il est nommé président de l'Agence juive - l'organisation qui fait le lien entre Israël et la diaspora - au moment où la réappropriation des biens juifs spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale constitue un brûlant dossier d'actualité. Puis il revient à la politique pour présider la Knesset, de 1999 à 2003.
Depuis, Avraham Burg, père de six enfants, partage sa vie entre le monde des affaires - où il officie comme consultant en management d'entreprises -, ses courses de marathon et sa participation au débat public par l'écriture de textes d'opinion et la pratique du volontariat dans des organisations ou des forums de discussion. Avec le récent lancement de Shivyon, il entend revenir sur la scène politique.
Comment la nouvelle formation de Burg sera-t-elle reçue par la population israélienne ? Les polémiques qu'avait suscitées, à sa sortie en 2007, son premier ouvrage politique, Vaincre Hitler, pour un judaïsme plus humaniste et universaliste, pourraient en donner un aperçu... Avraham Burg y défend l'idée que la Shoah est une « réalité agissante » dans la politique israélienne et qu'Israël continue à être malade de ce traumatisme.
A. M. Aude Marcovitch - Monsieur. Burg, comment vous présenteriez-vous aujourd'hui ? À quel courant politique appartenez-vous ?
Avraham Burg - En Israël, tout le monde se sent personnellement affecté par la politique ; on dit d'ailleurs qu'il y a, dans notre pays, sept millions de premiers ministres ! Les décisions du gouvernement nous concernent au quotidien, que nous ayons des enfants à l'armée ou que nous longions le mur qui nous sépare de la Cisjordanie.
Le camp politique que je me suis choisi, c'est celui qui essaie de faire bouger les choses. Les changements que j'aimerais voir survenir sont de la hauteur d'une montagne ; mais, souvent, ce qui se produit n'est pas plus grand qu'une petite bosse ! Mes rêves sont difficiles à réaliser parce que je suis un utopiste. Depuis que je ne suis plus un élu appartenant à un parti politique, je colle davantage à la vérité. Quand on est actif dans la vie politique, on doit faire beaucoup de compromis avec sa propre vérité et elle finit par se diluer...
Ma conviction fondamentale, c'est qu'aucun pays, y compris Israël, ne peut exister sans qu'il y ait une très large égalité entre tous ses habitants, et entre lui-même et ses voisins. Concrètement, j'estime qu'il est indispensable que Juifs et Arabes soient égaux à l'intérieur, et qu'Israël et Palestine soient égaux sur la scène internationale. Cette égalité - entre les pays et entre les gens - doit être la base de tout programme de paix. C'est sur cette conviction que repose ma réflexion politique.
Or aujourd'hui, en Israël, l'humanisme est très en retrait. Et à partir du moment où il existe des règles différentes pour les deux côtés - pour ceux qui vivent ici et pour ceux qui vivent de l'autre côté, en Cisjordanie -, à partir du moment où nous sommes un peuple qui en occupe un autre, notre système de valeurs est rongé de l'intérieur.
A. M. - Quelles sont, selon vous, les erreurs commises par les dirigeants israéliens, toutes obédiences politiques confondues, ces trente dernières années ?
A. B. - Évidemment, la plus grande erreur commune à tous les dirigeants israéliens, c'est de ne pas avoir su obtenir une vraie paix. Ils ont tous leur part de responsabilité. Commençons par Shimon Pérès, premier ministre en 1977. Il reprend alors le gouvernement de Yitzhak Rabin après la chute de sa coalition. Je retiens de cette période que ce sont Shimon Pérès et Yitzhak Rabin qui ont fondé les premières colonies en 1974-1975.
Venons-en, ensuite, à Menahem Begin. Bien sûr, il a fait la paix avec l'Égypte - un progrès immense pour notre pays qui, jusque-là, considérait tous ses voisins arabes comme des ennemis naturels. Mais, dans le même temps, il a fortement encouragé la colonisation en Judée-Samarie. Et il est entré en guerre contre le Liban, en 1982. Je perçois un grand paradoxe chez cet homme qui a fait la paix d'un côté, mais déclenché une guerre et soutenu la colonisation de l'autre.
Yitzhak Shamir, lui, n'a …