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SAUVER MADAGASCAR

Le 17 mars 2009, le président Ravalomanana est contraint, sous la pression de la rue et d'une très large coalition politique formée autour du maire de Tananarive, de remettre son pouvoir à un directoire militaire. Le 21 mars 2009, Andry Rajoelina prête serment et devient le président de la Haute autorité de transition (HAT). Plusieurs mois de négociations, essentiellement sous l'égide de l'Union africaine, commencent alors entre les « quatre mouvances » : celle d'Andry Rajoelina et celles des trois anciens présidents, Ravalomanana (en exil), Zafy et Ratsiraka. Un accord est finalement trouvé à Maputo, en août 2009, lequel doit déboucher sur la formation d'un gouvernement consensuel rassemblant les quatre tendances. Mais l'accord fait long feu, et ce qui était conçu comme une solution provisoire s'installe peu à peu dans la durée. Reconnu par un nombre croissant d'États non occidentaux, le pouvoir de la HAT reste cependant sous la pression de l'Union européenne, des États-Unis et de l'Union africaine.Cette instabilité politique chronique s'ajoute à une situation sociale dramatique. Madagascar est, en effet, l'un des pays les plus pauvres de la planète. Selon la Banque mondiale (1), le revenu par habitant dépasse à peine les 400 dollars et près des deux tiers des ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les Nations unies situent la Grande Île au 145e rang sur 185 en termes d'indice de développement humain. La mortalité des enfants de moins de 5 ans est en moyenne 23 fois plus élevée qu'en Corée du Sud et 10 fois plus qu'en Malaisie. Seuls 2 % de la population sont connectés au réseau électrique et moins de la moitié des ménages de la capitale accèdent à l'eau potable alors qu'ils étaient 65 % à en disposer en 2005. Non seulement Madagascar ne s'est pas développé depuis le début des années 1980, mais la pauvreté progresse et l'écart se creuse avec de nombreux pays du continent africain. Il incombe au nouveau président ainsi qu'aux principaux bailleurs de fonds occidentaux de donner au pouvoir une légitimité et une pérennité suffisantes pour lui permettre de relever le défi du développement.
Pour la première fois, M. Rajoelina s'explique en profondeur sur les causes du blocage actuel et éclaire son projet politique pour Madagascar.
A. C. Aymeric Chauprade - Monsieur le Président, Madagascar est-il un pays isolé comme le soutiennent nombre d'observateurs occidentaux ?
Andry Rajoelina - Madagascar n'est pas un pays isolé ; c'est un pays en transition, donc provisoirement en dehors de la légalité constitutionnelle. Ceux qui font pression sur le pouvoir malgache ne semblent rien voir des grands pas que nous accomplissons vers un retour à l'ordre constitutionnel.
Je ne suis pas arrivé seul à la tête de l'État. Ce sont les citoyens malgaches, avec le soutien d'une grande partie des élus et des militaires, qui ont contraint le dictateur au départ. C'est ce vaste mouvement populaire qui m'a porté. Bien sûr, la méthode n'est peut-être pas tout à fait conforme à l'esprit de la constitution. Mais lorsqu'il s'agit de faire tomber un pouvoir qui lui-même n'est plus conforme, depuis longtemps, à la constitution, on peut vous reconnaître des circonstances atténuantes ! En tout cas, il est étonnant de recevoir des leçons de morale de la part de nations qui prétendent abattre des dictatures pour installer à leur place des démocraties ! Nous, Malgaches, nous nous sommes débarrassés nous-mêmes de la dictature, sans l'aide de l'extérieur. Ne serait-ce pas par hasard ce que l'on nous reproche ?
Comment expliquer que les Européens et les Américains restent étrangement muets sur la réalité dictatoriale de l'ancien régime ? Croyez-moi : ce « deux poids deux mesures » choque beaucoup les Malgaches. Car la réalité de ce régime, c'était un détournement de l'argent public dans des proportions inégalées dans toute l'histoire de Madagascar, des arrestations arbitraires, des disparitions de personnes, des spoliations de biens brutales et, pour finir, des dirigeants qui font tirer sur le peuple à la mitraillette depuis les fenêtres d'un palais présidentiel qui n'était même pas menacé !
A. C. - Disposez-vous de soutiens au sein de la communauté internationale ?
A. R. - Bien sûr. Nous ne sommes pas sous embargo ! Plusieurs États approuvent ouvertement la transition et nous font confiance pour rétablir l'ordre constitutionnel : en premier lieu la France - et c'est évidemment un appui de poids -, mais aussi le Togo, le Sri Lanka, la Thaïlande, la Syrie, etc.
Tous les responsables de ces pays m'ont adressé, en mon nom propre, une lettre de félicitations pour mon accession à la tête de la Haute autorité de transition. Mais qu'il n'y ait pas de malentendu : dans mon esprit, comme dans celui de ceux qui soutiennent ce processus de transition, le pouvoir ne sera vraiment légitime qu'à l'issue d'élections libres, transparentes et démocratiques.
A. C. - Précisément, comment comptez-vous restaurer la légalité constitutionnelle ?
A. R. - La situation est, au fond, plus simple qu'elle n'y paraît. La Haute autorité de transition que je préside dispose d'une légitimité dans la mesure où elle est l'expression de la souveraineté populaire ; elle a pour mission de conduire le retour à l'ordre constitutionnel. Nous travaillons sur une nouvelle constitution qui doit permettre à Madagascar d'entrer dans une véritable ère démocratique. Jusqu'à …