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SLOVAQUIE : LE SENS DES RESPONSABILITES

Le 12 juin 2010, les élections législatives mettaient fin au gouvernement de coalition conduit par le parti social-démocrate (SMER) du premier ministre Robert Fico et le Parti national slovaque (SNS) - une formation ultra-nationaliste cultivant une hostilité virulente à l'encontre des minorités hongroise et rom du pays. Le SMER demeurait, en voix et en sièges, le premier parti de Slovaquie avec 35 % des suffrages et 62 députés sur 150. Mais l'effondrement de ses alliés du SNS et d'une autre formation populiste dirigée par l'ancien premier ministre Vladimir Meciar ne lui permettait pas de constituer une majorité. Le président de la République, Ivan Gasparovic, a alors chargé Iveta Radicova, 53 ans, chef de l'Union chrétienne-démocrate slovaque (SDKU) - le principal parti d'opposition - de former le gouvernement. À la tête de ce parti, Mme Radicova venait tout juste de succéder à l'ancien premier ministre (1998-2006) Mikulas Dzurinda, soupçonné de blanchiment d'argent.
Un nouveau parti, Liberté et Solidarité (SaS), avait créé la surprise en arrivant en troisième position avec 12,4 % des voix et 22 députés. Dirigée par un économiste, Richard Sulik, cette formation défendait un programme « libéral-libertaire » prônant, entre autres, la réduction du rôle de l'État dans l'économie et la dépénalisation de la consommation et de la vente du cannabis. Son euroscepticisme, proche de celui des conservateurs britanniques, le différenciait également des autres partis de centre droit. Sa violente critique des sociaux-démocrates (« Nous voulons envoyer ces bolcheviques dans la pampa ! ») et une habile utilisation d'internet et des réseaux sociaux durant la campagne électorale attirèrent au SaS les voix des jeunes urbains. Iveta Radicova parvint cependant à rassembler autour d'un programme commun le SaS, l'Alliance chrétienne-démocrate (KDH) - un parti catholique plus traditionaliste que le SDKU - et le parti Most-Hid (Le Pont, en slovaque et en hongrois) qui réunit à la fois des membres modérés de la minorité hongroise et des Slovaques attachés à une cohabitation harmonieuse entre les deux peuples.
Cette coalition dispose de 79 sièges au Parlement, mais doit faire face au comportement imprévisible d'une partie des députés du SaS : ceux de la faction dite des « Citoyens ordinaires », qui ne se sentent pas liés par la discipline majoritaire, car ils estiment que l'accord de gouvernement avec les autres partis n'a pas suffisamment pris en compte le programme du SaS.
Dès son entrée en fonctions, Iveta Radicova a déclaré qu'elle concentrerait son action sur la réduction des déficits publics et la relance d'une économie durement touchée par la crise. Elle s'efforce également de faire baisser la tension avec Budapest, qui avait été provoquée par des surenchères nationalistes des deux côtés du Danube : le gouvernement de Robert Fico, sous la pression du SNS, avait pris des mesures vexatoires pour la minorité hongroise, notamment en matière de reconnaissance des droits linguistiques ; en représailles, le nouveau gouvernement hongrois de droite dirigé par Viktor Orban a voté une loi accordant la nationalité et le passeport magyars à tous les Hongrois ressortissants d'un pays étranger.
Au mois d'août 2010, Iveta Radicova a attiré l'attention de la presse internationale et a suscité la réprobation de la Commission européenne en refusant de contribuer au plan de sauvetage de la Grèce proposé par l'UE. Sur tous ces points, elle s'explique dans cet entretien exclusif.
L. R. Luc Rosenzweig - Madame le premier ministre, vous êtes une nouvelle venue dans le club des chefs de gouvernement des pays de l'Union européenne. Pouvez-vous décrire l'itinéraire qui vous a conduite jusqu'à cette fonction éminente ?
Iveta Radicova - Le chemin a été plutôt long. Avant 1989, je n'étais engagée dans aucune action politique. Au début des années 1980, sous le régime communiste, pourtant, j'avais signé une lettre ouverte de quatorze sociologues adressée au gouvernement pour protester contre des arrestations de dissidents. La réaction des autorités n'a pas été tendre, et notre carrière universitaire a failli s'arrêter là... Comme je n'étais pas membre du Parti communiste, ni d'aucun parti satellite de ce dernier, j'ai logiquement choisi, en tant que sociologue, de travailler dans le domaine des statistiques et de la méthodologie, où le poids de l'idéologie se faisait moins sentir.
Survint novembre 1989 et la « révolution de velours » en Tchécoslovaquie. Avec mes collègues du département de sociologie de l'université de Bratislava je me suis engagée dans la création et l'organisation de « Public contre la violence » (1). Nous avons contribué à rédiger le programme de cette organisation.
En avril 1990, on m'a offert d'être cooptée pour siéger comme députée au Parlement qui devait préparer les premières élections libres du pays. J'ai décliné cette offre, et j'ai décidé d'accepter une bourse d'études pour Oxford en vue d'obtenir un PhD de cette prestigieuse université. Dans mon esprit, la liberté, c'était bien, mais c'était encore mieux de se préparer à l'exercer.
Aux élections de 1990, « Public contre la violence », qui entre-temps s'était constitué en parti politique, allié à son homologue tchèque « Forum civique », a obtenu le plus grand nombre de sièges au Parlement. À mon retour d'Oxford, le président de ce parti m'a demandé d'en devenir le porte-parole, alors que je n'en étais même pas membre !
L. R. - Votre carrière universitaire était donc terminée avant d'avoir réellement commencé...
I. R. - Absolument pas. Jusqu'en 2005, je me suis toujours attachée à concilier mon activité de recherche et d'enseignement avec une participation à la vie politique, dans le cadre de la fédération tchécoslovaque d'abord, puis en Slovaquie après la séparation de 1992. Je faisais partie de divers groupes d'experts chargés d'élaborer les réformes économiques et sociales pour les ministères concernés. Mais cette double activité n'a plus été possible lorsque, en 2005, j'ai accepté le poste de ministre du Travail et des Affaires sociales au sein du gouvernement dirigé par Miklos Dzurinda.
L. R. - Pour mieux cerner votre personnalité, pourriez-vous nous dire qui, parmi les grands dirigeants politiques mondiaux, du présent ou du passé, pourrait vous servir de modèle ?
I. R. - Winston Churchill. Il incarne, à mes yeux, l'autorité et l'art de prendre les bonnes décisions. J'admire surtout son aptitude à remonter au sommet après avoir chuté. C'était un combattant. Si je devais citer quelqu'un qui exerce actuellement une responsabilité politique, ce serait la chancelière allemande Angela Merkel.
L. R. - Vous préférez …