Y. M. Yves Messarovitch - Peut-on dire que le yuan reste considérablement sous-évalué par rapport au dollar et à l'euro ?
Patrick Artus et Bei Xu - Nombre d'estimations circulent à ce sujet. Selon les méthodes utilisées, cette sous-évaluation varie entre 10 et 50 %... Le RMB est effectivement sous-évalué. Il l'est même fortement si l'on compare le coût salarial unitaire chinois, mesuré en termes de parité de pouvoir d'achat, avec celui des pays développés. On obtient alors un chiffre proche de 50 %. Mais il ne faut pas confondre sous-évaluation absolue et sous-évaluation relative. En effet, il est courant que les pays à faible niveau de revenu voient leur monnaie sous-évaluée. Lorsque ces pays s'intègrent dans l'économie mondiale, ils affichent des niveaux de prix et de salaires très faibles, l'évolution des écarts de ces derniers avec ceux des Occidentaux ne pouvant être instantanément corrigée par la variation du taux de change nominal. Une monnaie sous-évaluée leur permet de gagner des parts de marché et d'accélérer la convergence de leurs revenus.
Si l'on raisonne maintenant en termes relatifs, c'est-à-dire en tenant compte de la faiblesse du revenu par tête, on ne trouve alors aucune sous-évaluation du RMB. Et si l'on observe le revenu par habitant des citadins - la part urbaine de la Chine étant la seule en concurrence avec les autres pays -, on finit même par conclure à une légère sur-évaluation du RMB d'environ 12 %...
Y. M. - La sous-évaluation du yuan est-elle appelée à durer ?
P. A. et B. X. - La stratégie de développement de la Chine consiste à exporter massivement des produits intensifs en travail. De fait, grâce à l'avantage comparatif en facteur travail et grâce au soutien de la politique économique, le secteur exportateur est devenu non seulement source de revenus mais aussi créateur d'emplois. Pour autant, peut-on dire que ces exportations massives demeurent une nécessité vitale ? Premièrement, à ce stade de développement, la Chine doit impérativement développer son marché domestique - un marché immense qui recèle un fort potentiel. Deuxièmement, l'avantage comparatif en facteur travail, s'il reste déterminant, est en train de se réduire du fait, d'une part, des hausses de salaires et de l'amélioration progressive des conditions de travail ; d'autre part, en raison de la disparition des gains de productivité liés aux migrations des campagnes vers les villes. Enfin, les exportations montent progressivement en gamme. La production industrielle chinoise devient de plus en plus sophistiquée grâce à l'intensification des efforts technologiques encouragée par les autorités.
Au total, compte tenu de ces évolutions structurelles, le rôle quasi absolu des exportations dans la croissance chinoise devrait progressivement s'estomper. La Chine sera alors moins tentée d'utiliser son taux de change comme instrument de stimulation de l'économie. De plus, il faut souligner que le contenu en importations des exportations chinoises étant très important (avec la segmentation du processus de production entre les pays d'Asie), le poids réel des exportations dans le Produit intérieur brut n'est pas aussi élevé (17 %) qu'en apparence (40 %). …