Entretien avec François Zimeray, Ambassadeur en charge des droits de l'homme au ministère des Affaires étrangères
Politique Internationale - Les discours du candidat Sarkozy lors de la campagne électorale de 2007 annonçaient un quinquennat placé sous le signe des droits de l'homme. Depuis, on a le sentiment que ce n'est plus une priorité de l'action extérieure de la France...
François Zimeray - À quoi sert une politique des droits de l'homme ? C'est la vraie question. Une question qui nous fait toucher du doigt un malentendu fondamental. Si l'on considère que les droits de l'homme se résument à des discours, que l'on se place dans le seul ordre déclaratoire, alors vous avez raison. Mais si, au contraire, la diplomatie se fixe comme objectif d'agir sur le réel, d'obtenir des changements concrets, alors il faut accepter l'idée d'une action plus discrète mais non moins résolue, faire le deuil de nos désirs narcissiques (l'« image de la France ») et prendre le monde tel qu'il est, avec l'ambition de participer à sa transformation.
Je sais bien que lorsque l'on parle de « droits de l'homme » les gens entendent « morale », « posture », « déclarations »... Or il faut avoir le courage de dire que les droits de l'homme, ce n'est pas de la morale. Les droits de l'homme, ce sont des droits qui existent ou n'existent pas, qui sont appliqués ou violés. Le droit de ne pas être torturé, le droit d'avoir un procès équitable, le droit à l'égalité entre hommes et femmes...
Comme toutes les normes, les droits de l'homme sont le fruit de compromis. Il faut donc commencer par expliquer ce que nous faisons, mais également ce que nous ne pouvons pas faire ; ce qui ne nous empêche pas de dire ce que nous pourrions faire mieux !
Si je devais résumer en une phrase l'action de la France en matière de droits de l'homme, je dirais qu'elle consiste à participer à l'élaboration de normes dans les enceintes qui en sont le creuset, à veiller à leur application - c'est le plus difficile - et à mettre en place les mécanismes visant à en sanctionner les manquements les plus graves (c'est la justice internationale).
P. I. - Depuis son élection à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy s'est rendu à plusieurs reprises en Chine. Le premier ministre François Fillon en a fait de même. On a, parfois, le sentiment que la seule chose qui compte, c'est de tisser des liens économiques avec les grands États, quelle que soit leur attitude concernant les droits de l'homme !
F. Z. - C'est un bon exemple. Prenez les Jeux olympiques organisés à Pékin en 2008. Il y a eu, en France, ce débat : le président doit-il être présent à la cérémonie d'ouverture ou non ? Si l'on considère les choses du point de vue symbolique, alors la France - censée incarner les droits de l'homme - et la Chine - réputée les violer - paraissent incompatibles. Mais plaçons-nous, pour une fois, du point de vue des victimes. Pensons au dissident chinois au fond de sa cellule : quel est son intérêt ? Que nous nous fâchions définitivement avec les Chinois ou bien, au contraire, que nous créions avec eux une sorte d'interdépendance permettant, en particulier, de tisser un dialogue sur les droits de l'homme ? Encore une fois, la vraie question, c'est de savoir pour qui on s'occupe des droits de l'homme. À mes yeux, il ne faut certainement pas que notre action dans ce domaine ait pour unique but de nous donner bonne conscience. Je déteste la bonne conscience : c'est le contraire de la conscience, elle tue la conscience ! La vérité, c'est qu'il faut dépasser cette opposition stérile entre idéalisme, d'une part, et realpolitik, de l'autre : pour moi, les droits de l'homme sont une politique idéaliste du réel.
P. I. - Le prix Nobel de la paix vient d'être attribué au dissident chinois Liu Xiaobo, actuellement emprisonné dans son pays. Quelle est votre réaction à cette nouvelle?
F. Z. - C'est un message très fort pour tous les défenseurs des droits de l'homme, en Chine mais aussi dans le monde. On ne mesure pas à quel point les encouragements de ce genre sont importants pour ceux qui prennent tous les risques au nom des droits de l'homme. Je suis convaincu que cette information se propagera rapidement dans toute la Chine. Soit dit en passant, je rappelle que contrairement à ce qu'on a raconté, François Fillon, pendant sa visite en Chine, a cité le nom de Liu Xiaobo lors d'une conférence de presse, manifestant ainsi l'inquiétude de la France pour son sort. Nous n'avons jamais cessé de réclamer sa libération. De ce point de vue, je pense que l'obtention du Nobel ne peut pas lui nuire...
P. I. - Un dialogue sur les droits de l'homme est-il possible avec des pays comme la Chine ou encore la Russie ?
F. Z. - Et si l'on posait la question à l'envers ? Croyez-vous que l'absence de dialogue et d'échanges économiques fait progresser les droits de l'homme ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, nous entretenons avec la Russie, puisque vous citez cet exemple, un vrai dialogue sur les droits de l'homme. Il y a dans ce pays des violations terribles, et nous les dénonçons. Je suis allé en Russie à trois reprises ; j'ai été le premier diplomate français à visiter la Tchétchénie depuis longtemps ; et, malheureusement, le dernier à avoir vu vivante la journaliste Natalia Estemirova. J'ai, également, assisté à une audience du procès de Mikhaïl Khodorkovski et je me suis rendu dans les locaux de l'hebdomadaire d'opposition Novaïa Gazeta, à la demande de Bernard Kouchner. Et, parallèlement, nous avons de vrais échanges sincères et informels avec les autorités russes, par exemple avec l'administration pénitentiaire. Nous avons organisé, à l'ambassade de France de Moscou, un séminaire où spécialistes français et russes ont échangé leurs expériences en présence de représentants d'ONG et d'avocats des deux pays. C'est en procédant de cette manière que nous ferons avancer les choses : parfois, …
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