Les Grands de ce monde s'expriment dans

ISRAEL-PALESTINE : LA CONFIANCE COMME RECETTE

Entretien avec Avraham Burg, Ancien président de la Knesset (1999-2003). par Aude Marcovitch, correspondante de Politique Internationale en Israël.

n° 129 - Automne 2010

Avraham Burg Aude Marcovitch - Monsieur. Burg, comment vous présenteriez-vous aujourd'hui ? À quel courant politique appartenez-vous ?
Avraham Burg - En Israël, tout le monde se sent personnellement affecté par la politique ; on dit d'ailleurs qu'il y a, dans notre pays, sept millions de premiers ministres ! Les décisions du gouvernement nous concernent au quotidien, que nous ayons des enfants à l'armée ou que nous longions le mur qui nous sépare de la Cisjordanie.
Le camp politique que je me suis choisi, c'est celui qui essaie de faire bouger les choses. Les changements que j'aimerais voir survenir sont de la hauteur d'une montagne ; mais, souvent, ce qui se produit n'est pas plus grand qu'une petite bosse ! Mes rêves sont difficiles à réaliser parce que je suis un utopiste. Depuis que je ne suis plus un élu appartenant à un parti politique, je colle davantage à la vérité. Quand on est actif dans la vie politique, on doit faire beaucoup de compromis avec sa propre vérité et elle finit par se diluer...
Ma conviction fondamentale, c'est qu'aucun pays, y compris Israël, ne peut exister sans qu'il y ait une très large égalité entre tous ses habitants, et entre lui-même et ses voisins. Concrètement, j'estime qu'il est indispensable que Juifs et Arabes soient égaux à l'intérieur, et qu'Israël et Palestine soient égaux sur la scène internationale. Cette égalité - entre les pays et entre les gens - doit être la base de tout programme de paix. C'est sur cette conviction que repose ma réflexion politique.
Or aujourd'hui, en Israël, l'humanisme est très en retrait. Et à partir du moment où il existe des règles différentes pour les deux côtés - pour ceux qui vivent ici et pour ceux qui vivent de l'autre côté, en Cisjordanie -, à partir du moment où nous sommes un peuple qui en occupe un autre, notre système de valeurs est rongé de l'intérieur.
A. M. - Quelles sont, selon vous, les erreurs commises par les dirigeants israéliens, toutes obédiences politiques confondues, ces trente dernières années ?
A. B. - Évidemment, la plus grande erreur commune à tous les dirigeants israéliens, c'est de ne pas avoir su obtenir une vraie paix. Ils ont tous leur part de responsabilité. Commençons par Shimon Pérès, premier ministre en 1977. Il reprend alors le gouvernement de Yitzhak Rabin après la chute de sa coalition. Je retiens de cette période que ce sont Shimon Pérès et Yitzhak Rabin qui ont fondé les premières colonies en 1974-1975.
Venons-en, ensuite, à Menahem Begin. Bien sûr, il a fait la paix avec l'Égypte - un progrès immense pour notre pays qui, jusque-là, considérait tous ses voisins arabes comme des ennemis naturels. Mais, dans le même temps, il a fortement encouragé la colonisation en Judée-Samarie. Et il est entré en guerre contre le Liban, en 1982. Je perçois un grand paradoxe chez cet homme qui a fait la paix d'un côté, mais déclenché une guerre et soutenu la colonisation de l'autre.
Yitzhak Shamir, lui, n'a rien fait. Et c'est catastrophique. Il a occupé très longtemps la fonction de premier ministre (1983-1984 et 1986-1992), il disposait d'un pouvoir politique fort... mais il n'a rien fait.
A. M. - Il y a quand même eu, en 1991, la conférence de Madrid, qui fut la première tentative visant à mettre autour d'une même table des représentants d'Israël, des États arabes et des Palestiniens...
A. B. - La conférence de Madrid ? Shamir y est allé pour donner le change, mais il voulait seulement gagner du temps. Il rêvait du Grand Israël - c'est-à-dire d'un Israël s'étendant de la Méditerranée au Jourdain et, donc, englobant Gaza et la Cisjordanie -, même si nous devions, pour cela, subir le terrorisme pendant cent ans.
Passons maintenant au second mandat d'Yitzhak Rabin (de 1992 à son assassinat fin 1995). Ce que Begin a fait avec l'Égypte, Rabin l'a fait avec les Palestiniens en signant les accords d'Oslo. Il a fait entrer les Palestiniens dans notre système de pensée, comme Begin y avait fait entrer un État arabe. Soit dit en passant, je pense qu'il faut être patient pour ce qui concerne ces accords : parfois, l'Histoire est plus lente que la politique. Quinze ans, ce n'est pas long dans l'histoire de la région... En tout cas, à mon avis, Rabin a pris la bonne décision en signant ces accords ; mais, par la suite, il a commis deux graves erreurs. La première est son refus d'aller jusqu'au bout de l'idée de l'établissement d'un État palestinien. La seconde est le soutien qu'il a continué à apporter à la croissance des colonies.
Benyamin Netanyahou lui a succédé en 1996, après un intérim assuré par Shimon Pérès. Netanyahou vient d'une école de pensée qui assimile Israël à la forteresse assiégée de Massada. Selon cette vision, le monde entier est ligué contre nous. Il faut donc combattre, et héroïquement ! Il ne vit pas dans le monde moderne et libéral de la réconciliation, mais dans le monde antique de la guerre perpétuelle.
A. M. - Quel jugement portez-vous sur Ehud Barak, arrivé aux affaires en 1999 ?
A. B. - Quand Barak est rentré de Camp David en 2000, après avoir rencontré Yasser Arafat, il a constaté l'échec des négociations et prononcé cette fameuse phrase : « Il n'y a pas de partenaire. » En disant ces mots, il a légitimé l'idée que l'on ne pouvait pas faire la paix avec l'Autorité palestinienne. De mon point de vue, s'il est revenu avec cette expression à la bouche, c'est parce qu'il n'est pas un homme de paix. En arrière-fond, chez lui, il y a le militaire. Il croit à l'action armée, pas au langage politique. D'ailleurs, il est un très mauvais politicien, en particulier parce qu'il ne comprend pas que la politique impose de tenir compte de l'opinion des gens. À partir du moment où le chef du parti travailliste dit « il n'y a pas de partenaire », il révèle son vrai visage. La fonction d'un …