Entretien avec
Mari Kiviniemi, Premier ministre de Finlande depuis juin 2010.
par
Antoine Jacob, journaliste indépendant couvrant les pays nordiques et baltes. Auteur, entre autres publications, de : Les Pays baltes, Lignes de repères, 2009 ; Histoire du prix Nobel, François Bourin Éditeur, 2012.
n° 129 - Automne 2010
Antoine Jacob - À peine aviez-vous pris vos fonctions que le magazine américain Newsweek vous faisait un cadeau en plaçant la Finlande en tête d'un classement des « meilleurs pays du monde » (2)... Croyez-vous que votre pays mérite une telle distinction ? Mari Kiviniemi - Aussitôt cette nouvelle connue, les gens ont commencé à se demander s'il n'y avait pas une erreur quelque part. C'est typiquement finlandais de douter de la sorte. Mais, d'une certaine manière, ce réflexe a du bon parce qu'il nous incite à travailler encore plus dur pour progresser. Pour revenir à votre question, oui, je pense que la Finlande mérite cette place et je suis heureuse qu'elle ait été ainsi distinguée. Ce qui m'intéresse avec le classement de Newsweek, c'est qu'outre la Finlande il récompense le modèle nordique. Nous avons réussi, dans cette région d'Europe, à combiner une économie de marché dynamique avec un État-providence qui fonctionne bien. Quant à la Finlande, je suis ravie de voir que son système éducatif est grandement apprécié à l'étranger. De même que ses efforts en matière de recherche et développement. A. J. - Vous ouvrez là plusieurs pistes que je souhaiterais explorer avec vous. Parlons tout d'abord du système éducatif, qui est effectivement mis en valeur par un classement qu'a établi l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (3). Qu'est-ce que le gouvernement, les enseignants et peut-être les parents finlandais ont compris que les autres n'auraient pas compris ? M. K. - Notre réussite repose avant tout sur l'excellente formation de nos enseignants, qui ont tous le niveau maîtrise. Ce sont de vrais professionnels et leur métier est très bien considéré par le reste de la société. Par ailleurs, pour un enfant, le finnois est facile à apprendre, à lire et à écrire. Ce qui explique les bons résultats obtenus par notre pays en matière de maîtrise de la langue. En outre, les autorités n'hésitent pas à investir dans les écoles, les lycées et les systèmes de bourses afin que tout jeune Finlandais capable d'étudier ait les moyens de le faire sans difficultés. A. J. - Le système éducatif n'est-il pas plus performant parce que la société finlandaise est restée homogène, en dépit de l'arrivée croissante d'immigrés ? M. K. - Cette homogénéité constitue, en effet, un grand avantage. La Finlande, il faut le reconnaître, ne compte que très peu d'étrangers : environ 150 000 sur une population totale de 5,3 millions de personnes. Cela dit, nous commençons à rencontrer les mêmes problèmes que ceux que d'autres pays connaissent de manière plus aiguë. Il nous faut mieux intégrer ces nouveaux venus et tout faire pour qu'ils apprennent la langue finnoise. C'est indispensable. De cette manière, je crois, nous pourrons tirer le meilleur de la société dans son ensemble. A. J. - Quel est l'impact de la crise sur la qualité de l'enseignement ? M. K. - C'est difficile à évaluer pour le moment. Ce que je peux vous dire, c'est que le gouvernement fait tout pour assurer le maintien d'un enseignement de qualité. Comment ? En créant le plus de croissance possible et en procédant aux réformes structurelles nécessaires. Le budget pour 2011 a été préparé de manière à accroître la compétitivité des entreprises. L'objectif consiste à stabiliser les finances publiques (4). Nous nous attendons encore à quelques années difficiles. Des incertitudes demeurent, notamment aux États-Unis et sur le marché européen. J'ai beau être de nature optimiste, je ne veux donc pas clamer que la crise est vraiment finie. Mais en menant à bien les réformes nécessaires, nous parviendrons à nos fins, tout spécialement dans le domaine de l'éducation. A. J. - La Finlande doit aussi régler la question du vieillissement de la population, qui est particulièrement aiguë dans ce pays, l'un des plus âgés d'Europe (5). Quelle est la recette finlandaise en la matière ? M. K. - Il est clair qu'un retour à l'équilibre des finances publiques, s'il est indispensable, ne sera pas suffisant. Nous devons augmenter le taux d'emploi en repoussant l'âge du départ à la retraite. Il nous faut aussi améliorer les conditions de vie sur le lieu de travail, afin que les gens qui le veulent puissent y rester plus longtemps. La productivité du secteur public et des services proposés par l'État-providence devra être renforcée. Enfin, une réforme du système des pensions est actuellement en discussion entre employeurs et syndicats d'employés, en vue d'en assurer la pérennité. Leurs conclusions seront prêtes à la fin de l'année. Le thème sera, bien sûr, très discuté avant les élections législatives de mars 2011. Et les décisions seront prises par le prochain gouvernement. A. J. - Sur le report de l'âge du départ à la retraite, avez-vous une opinion définitive ? M. K. - Le système actuel est flexible : il prévoit un départ à la retraite entre 63 et 68 ans (6). Mais si vous attendez 65 ans, votre pension est plus importante que si vous partez à 63 ans. Faudra-t-il faire passer de 65 à 67 ou à 68 ans l'âge à partir duquel il est rentable de partir ? Ce sera très probablement l'une des suggestions qui seront formulées par les partenaires sociaux. Mais attendons de voir, c'est un dossier très sensible et personne n'ose clamer haut et fort qu'il faudra relever cet âge... En ce qui me concerne, je ne veux rien affirmer sur ce point tant que je n'aurai pas une vision générale de ce que les uns et les autres proposeront et de ce qu'il sera possible de faire. Mais ce qui est sûr, c'est que si nous n'adaptons pas notre système de retraites aux réalités, il faudra réduire les montants des pensions de manière assez significative d'ici à une vingtaine d'années ; et cela, personne ne le veut. A. J. - La Confédération des employeurs finlandais, elle, souhaite faire passer progressivement la retraite à 70 ans ! M. K. - Elle peut se permettre de dire des choses pareilles ; pas les responsables politiques... A. J. - Comment s'y …
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